Une idée répandue au Cameroun laisse croire que la consommation excessive de la mangue donne le paludisme. Mais cette assertion est fausse, comme nous l’ont expliqué des spécialistes de la santé.
Le 3 mai 2023, un internaute écrit sur Facebook : « Khoooo la mangue donne le paludisme, il y a déjà le plasmodium dans la mangue ??? Le docteur s’interroge… (sic) ».
(POST : https://web.facebook.com/groups/Kerelkongossa/posts/6611562348966967)
Le post a été publié dans « Kerel Kongossa (officiel) », un groupe privé sur Facebook qui rassemble plus de 556 000 membres. Mais cette assertion ne date pas de mai 2023. Elle a déjà fait l’objet de publications sur les réseaux sociaux dans le passé. « Un paludisme me menace. C pE etr a cauz D mangue ke je grignotte tt le tps.. Jme sens faible (Entendez : Un paludisme me menace. C’est peut-être à cause des mangues que je grignote tout le temps. Je me sens faible) », postait une internaute le 29 novembre 2012 sur « X » (ex-Twitter).
(POST : https://twitter.com/Shanyah21/status/274091360968134656?s=20)
« Si c’est pas Corona qui me tut se sera le palu. la quantité de mangues que j’ingurgite par jour là (sic) », réagissait une autre le 22 avril 2020 sur le même réseau social.
(POST : https://twitter.com/_AndreaMD/status/1252917631855755265?s=20)
A l’inverse, d’autres internautes réfutent cette assertion. « L’excès de mangue ne donne pas le palu », commente par exemple cet utilisateur, dans un post sur X le 22 avril 2020. « On est dans un pays où on croit que la mangue donne le paludisme… Et on est en paix avec ça !!! », renchérit cet autre, dans une publication sur le même réseau social datée du 22 avril 2022.
(POST : https://web.facebook.com/groups/Kerelkongossa/posts/6611562348966967)
Sur son site Internet, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit le paludisme comme une maladie « potentiellement mortelle » transmise à l’être humain par les piqûres de certains types de moustiques. « On le trouve principalement dans les pays tropicaux. Il s’agit d’une maladie évitable et dont on peut guérir. Les premiers symptômes les plus courants sont la fièvre, les maux de tête et les frissons. Les symptômes commencent généralement dans les 10 à 15 jours suivant la piqûre d’un moustique infecté », renseigne l’agence onusienne.
La maladie est endémique au Cameroun, car elle y sévit en permanence avec des taux de mortalité et de morbidité élevés dans la population, ajoute Dr Dominique Bomba Amougou, chef section prévention au Programme national de lutte contre le paludisme (Pnlp) du ministère de la Santé publique (Minsanté). Selon le Minsanté en effet, le Cameroun enregistre chaque année 6 millions de cas de paludisme et près de 4 000 morts dans les établissements de santé, les enfants de moins de 5 ans représentant la plupart des décès.
Cependant, tous les cas ne sont pas enregistrés, et l’OMS estime que près de 11 000 personnes meurent du paludisme chaque année dans le pays. En 2022, les formations sanitaires du pays ont rapporté 3 327 381 cas de paludisme, « soit 29,6% de toutes les consultations » cette année-là, selon un dossier de presse remis aux médias le 25 avril 2023 par le Pnlp à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme, que nous avons consulté. C’est d’ailleurs quelques jours après cette journée que cette idée répandue a refait surface sur la Toile.
Mais qui dit vrai au final ?
Nous avons vérifié cette information et l’avons trouvé fausse
Nous avons interrogé Dr Aurélien Nana, médecin de santé publique, qui soutient que cette assertion est fausse. « Manger une mangue ne cause pas le paludisme. Le paludisme est une maladie transmise par un moustique que l’on appelle anophèle, et c’est surtout la femelle qui en est responsable. Pour se multiplier, ses larves ont besoin d’un milieu propice : eau stagnante, poubelle et détritus, etc. », explique le praticien.
Il rappelle qu’au Cameroun, la saison des mangues commence avec l’arrivée des pluies et c’est justement pendant cette période que les flaques d’eau prolifèrent et stagnent dans les rigoles et autour des habitations. « Avec la consommation des mangues, leurs détritus jonchent le sol des alentours de certaines habitations. Ceci constitue le terrain fertile pour le développement des larves de moustique, et donc de l’accroissement des cas de paludisme », poursuit le médecin.
Dr Dominique Bomba Amougou, chef section prévention au Minsanté-Pnlp, affirme qu’il n’y a, à ce jour, aucune évidence scientifique qui établit un lien de causalité à effet entre la mangue et le paludisme. « Il semblerait surtout que cela soit lié au fait que la saison des pluies coïncide avec la saison des mangues et l’augmentation du pic de transmission du paludisme, période durant laquelle l’on constate une hausse des eaux stagnantes qui sont des milieux idéaux pour la reproduction des moustiques. C’est pour cela que dans nos villages, de façon culturelle, on pense souvent que les mangues donnent le paludisme. Vous pouvez sucer autant de mangues que vous voulez, vous n’aurez jamais le paludisme », dit-il.
Claude Abe, sociologue et enseignant à l’Université catholique d’Afrique centrale (Ucac), explique que cette affirmation fait partie des « imaginaires collectifs » que chaque société se crée. « Le paludisme étant une maladie qui est récurrente du point de vue de la démographie qu’il touche, les gens ont eu, à un moment donné, envie de faire entrer le paludisme dans la banalité quotidienne en mettant en place une théorie populaire et profane de la cause de la maladie. D’où justement la consommation abusive des mangues est apparue très facilement dans l’esprit de beaucoup comme étant l’élément qui pourrait être à l’origine de cette maladie même si, sur l’étiologie médicale, les deux éléments n’ont rien à voir ensemble », précise-t-il.
Pour ce dernier, cette « théorie populaire » perdure notamment en raison de « l’ignorance » ou de « connaissances insuffisantes » de l’origine du paludisme. Le sociologue est cependant convaincu qu’on peut combattre cette idée reçue. Ce, « en rendant davantage disponibles les connaissances scientifiques en les popularisant pour que nous soyons tous au même niveau de connaissances, en démontrant également les vertus de la mangue, de sa consommation, de tous les divers usages qu’on peut en faire, au-delà de ces inventions très loin de la réalité. Dans ce type d’imaginaire, il n’y a que la connaissance exacte, scientifique, assurée et sécurisée qui peut arriver à en venir à bout », soutient-il.
En résumé, l’idée selon laquelle la consommation excessive de la mangue donne le paludisme est fausse. C’est une maladie transmise à l’Homme par la piqûre d’un moustique appelé anophèle.
Article rédigé par Patricia Ngo Ngouem (StopBlaBlaCam) dans le cadre le cadre de la bourse de vérification des faits Africa Fact-checking Fellowship Cameroon (#AFFCameroon), cohorte 8 de #defyhatenow.