Depuis mi-janvier, ce qui est désormais convenu d’appeler affaire Bopda fait l’objet d’une importante réprobation sociale et donc d’une attente répressive de la part de l’opinion publique. Ce déferlement sur les réseaux sociaux a suscité la problématique de la légalité ou de la légitimité de poursuivre Bopda, avec ou sans plainte par auto-saisine. Que dit la loi camerounaise dans ce cas de figure ? Nous avons décrypté les textes juridiques et les avis d’experts dans cette analyse de vérification pour arriver à la conclusion qu’il ne faut pas absolument une plainte pour ouvrir une procédure judiciaire.
Contexte
Hervé Emmanuel Bopda est le fils d’un richissime homme d’affaires camerounais, vivant à Douala. Il a été interpellé le 31 janvier 2024 dans la ville de Douala et placé en garde à vue, suite à plusieurs dénonciations aux motifs de « viol, séquestration, enlèvement, sodomie, mise en danger de la vie d’autrui, viol en réunion, menaces à main armée, harcèlement » sur des jeunes filles. Cette affaire qui crée un déferlement sur les réseaux sociaux démarre le 19 janvier 2024, avec le lanceur d’alerte N’Zui Manto publie sur son compte Facebook le témoignage d’une victime anonyme se plaignant d’avoir été giflée et menacée avec une arme à feu par M. Bopda, en pleine rue, après avoir refusé ses avances. L’affaire a pris de l’ampleur avec plus de 70 témoignages anonymes relayés par N’Zui Manto en l’espace de quelques jours. Aussitôt, sur les réseaux sociaux, le mouvement à travers le mot-clé #stopBopda a accompagné les publications de citoyens lambda, des artistes, sportifs et influenceurs très suivis à travers le continent africain et le monde. La vague d’humeur est telle que, face à l’inaction des pouvoirs publics camerounais autour de cette affaire, au départ, a suscité des interrogations de certains internautes camerounais sur les réseaux sociaux. « Si je comprends bien, il faut absolument que les victimes brisent le silence en portant directement plainte ? Sinon aucune avancée possible ? », « Mais chez les procureurs ont-ils le droit de s’auto-saisir d’une affaire d’une telle gravité ?? Parce que depuis des jours que #Bopda est dénoncé mais rien ».
Des questionnements qui laissent croire que sans plainte, aucune poursuite ne peut être engagée contre M. Bopda ; mais surtout qui jettent le discrédit sur l’appareil judiciaire de l’Etat. Sans remettre en cause l’un des principes de la justice ou alors conforter l’idée d’un silence complice des services gouvernementaux, nous nous proposons ici de jeter un coup d’œil sur ce que dit la loi.
Que dit la loi ?
Selon la loi camerounaise, N°2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale, dans ses articles 59, 60 et 61, : « toute infraction peut donner lieu à une action publique et, éventuellement, à une action civile… ; l’action publique est mise en mouvement et exercée par le Ministère public. Elle peut aussi être mise en mouvement par une administration ou par la victime, dans les conditions déterminées par la loi… ». A cet effet, elle précise dans son article 135 que: « (1) (a) Le Procureur de la République est saisi soit par : – une dénonciation écrite ou orale ; – une plainte ; – un procès-verbal établi par une autorité compétente. (b) Il peut également se saisir d’office. (2) toute personne ayant connaissance d’une infraction qualifiée crime ou délit, est tenue d’en aviser directement et immédiatement, soit le Procureur de la République, soit tout officier de police judiciaire, ou à défaut, toute autorité administrative de la localité. (3) L’autorité administrative informée est tenue de porter cette dénonciation à la connaissance du Procureur de la République ou de l’officier de police judiciaire le plus proche ».
Dans le cadre de l’affaire Bopda, Nganteu Aimé, Expert juriste et consultant, que nous avons contacté par téléphone, le 13 février 2024, indique que pour qu’une instance judiciaire soit saisie, il faut que ce soit ou le procureur, ou les victimes des infractions qui sont reprochées à M. Bopda. Et d’après lui, dans le cas d’espèce, c’est l’ordre public qui a été perturbé au regard des faits qui ont été exprimés sur les réseaux sociaux. « Donc le ministère public, incarné par le procureur, a le droit de se saisir de ce dossier, étant donné qu’ il y a une arme à feu qui a été faite dans les témoignages puisés sur les réseaux sociaux. Et s’il est établi que M. Bopda n’a pas l’autorisation de port d’armes, ça devient une infraction militaire. Et cette fois, cette affaire sera transférée au commissaire du gouvernement qui est le procureur de la république près du tribunal militaire ».
Mais il précise ensuite qu’il faut toujours dans une procédure comme pour Bopda se rassurer que les victimes ont déposé une plainte. « Si elles ont déposé une plainte, ça veut dire que les unités de police qui ont été saisies, vont enquêter sur l’infraction et en fonction de la nature ou la qualification qu’il donne à l’infraction, (par exemple de port illégal d’arme), cette infraction doit être traduite devant le juge du tribunal militaire, le juge d’instruction ou le commissaire du gouvernement près du tribunal militaire pour connaitre de la peine ; Mais, si ce sont des infractions des droits communs, par exemple le viol dont il est prétendument accusé ou alors les menaces ou des intimidations, ces infractions sont portées devant les juridictions des droits communs qui sont : le tribunal de première instance en matière de délits et contraventions, ou le tribunal de grande instance en matière de crime ».
La caractérisation des faits
D’après Me Fabien Kengne sur teleasu.tv, les infractions énumérées sont qualifiées de crimes. A cet effet, il affirme qu’Hervé Bopda “…fait l’objet de garde à vue dans le cadre de l’enquête préliminaire, sur instructions du Commissaire du Gouvernement, aux fins de recueillir les indices pouvant lui permettre de le renvoyer devant un juge d’instruction. Cette garde à vue est plus longue qu’en matière de justice civile. Elle peut aller, en cas de renouvellement jusqu’à 16 jours, si je ne me trompe pas ». Pour le juriste, toutefois au regard de la gravité des faits révélés par différents témoignages, et surtout pour le danger qu’il peut faire courir à la société, il est impossible pour lui de bénéficier d’une libération sous caution, ou d’une relaxe pure et simple. « Si cela devait cependant arriver, naturellement c’est sous caution de garants, ou caution d’une très importante somme d’argent qui sont déterminées ou fixées à la discrétion du Commissaire du Gouvernement. Si le Commissaire du Gouvernement estime cependant qu’il n’y a pas d’indices suffisants, il peut le laisser libre et classer l’affaire sans suite. N’oublions pas que jusqu’à ce qu’il soit jugé définitivement et déclaré coupable, il bénéficie de la présomption d’innocence prévue tant par la Constitution que par la loi », détaille Me Fabien Kengne. Selon lui, pour l’instant, « le dossier repart cette fois à l’instruction. On l’a mis à la disposition du siège ». Il ajoute que cela signifie que “C’est le juge d’instruction qui va décider de l’ouverture d’une information ou pas, de l’inculpation ou pas, et décerner ou pas un mandat de détention provisoire”
En conclusion
Après cette analyse, nous pouvons affirmer qu’au regard de la loi, il est légal et même légitime de poursuivre en justice M. Bopda, avec ou sans plainte. Toutefois, il faut souligner que le procureur de la République peut décider de ne pas engager de poursuites après avoir reçu la plainte, si la caractérisation des faits est difficile à établir.
Nacer Njoya, boursier #AFFCameroon Cohorte 9