FAUX : L’être humain n’utilise pas moins de 20% de son cerveau au cours de sa vie

Pour défendre la capacité cérébrale du Président Paul Biya à gouverner le Cameroun 7 ans supplémentaires, Parfait Onguene, conseiller régional du Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (RDPC) a affirmé dans l’émission Espace Miné d’Info TV qu’une étude américaine a prouvé que l’être humain utilise moins de 20% des capacités de son cerveau jusqu’à sa mort. Après vérification de cette allégation largement répandue dans l’imaginaire populaire, nous sommes arrivés à la conclusion qu’elle est non fondée scientifiquement. 

Contexte

Le 14 juillet 2025, sur le plateau de l’émission Espace Miné diffusée sur la chaîne camerounaise Info TV, Parfait Onguene, conseiller régional du Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (RDPC) dans la région du Sud, a affirmé : « Une étude américaine a prouvé que l’être humain utilise moins de 20% des capacités de son cerveau jusqu’à sa mort ».

A l’en croire, cette donnée scientifique viendrait justifier le fait que Paul Biya, Président de la République du Cameroun âgé de 92 ans, disposerait encore d’un important « stock cognitif », et serait de ce fait apte à présider aux destinées du Cameroun pour un 8e mandat consécutif.

La sortie de Parfait Onguene a été largement relayée sur les réseaux sociaux, en particulier via une publication de la plateforme Médiatude, qui reprend dans un post du 14 juillet 2025 sur Facebook, un extrait vidéo dans lequel on peut entendre le conseiller régional s’exprimer au sujet des capacités cérébrales de son champion. A ce jour, la vidéo a généré 26k de vues, 555 commentaires et 24 partages, autant dire qu’elle a été virale

Cette assertion est intervenue dans un contexte politique précis. Quelques heures plutôt, Paul Biya a officialisé sa candidature pour l’élection présidentielle du 12 octobre 2025. Une décision qui a suscité des réactions contrastées de soutien et de désapprobation au sein de l’opinion publique.

La déclaration de Parfait Onguene et le contexte qui l’entoure, soulèvent deux interrogations : existe-t-il une étude scientifique prouvant que l’humain exploite moins de 20% de son cerveau jusqu’à sa mort ? Si oui, cette affirmation suffit-elle à justifier qu’un homme âgé de plus de 90 ans puisse exercer une haute fonction politique ? Quoi qu’il en soit, cette sortie de Parfait Onguene relance une idée abondamment partagée sur l’utilisation totale des capacités cognitives humaines. 

237 Check a mené l’enquête pour vous.

Vérification

Pour démêler le vrai du faux, nous avons préalablement contacté M. Parfait Onguene, conseiller régional du RDPC et auteur de la déclaration, par appel WhatsApp le mardi 15 juillet 2025. Interrogé sur ses propos, il a souhaité apporter des précisions, tout en insistant sur le contexte essentiellement politique et non scientifique de son argumentation.

Voici à sa demande, l’extrait du message qu’il nous a envoyé pour publication.

 « Vous voudrez bien vous en montrer compréhensif. Cependant, cette étude à laquelle je fais allusion est restée un postulat qu’on assimile souvent à un mythe. Dans l’impossibilité de balayer d’un revers de main un tel raisonnement sans des éléments de contradiction scientifiques, nous avons le choix d’y croire ou non selon notre sensibilité scientifique et intellectuelle. Plusieurs sites scientifiques en débattent encore sur le sujet sans conclusion définitive.

Un « neuromythe » que la science réfute

Si l’allégation, objet du présent travail de fact-checking peut s’expliquer dans une logique de communication politique comme le défend son auteur, l’argument scientifique convoqué mérite vérification. Pour en avoir le cœur net, 237 Check a consulté les bases de données spécialisées telles que Google Scholar et PubMed, qui regroupent des milliers d’articles scientifiques sur le cerveau humain.

L’idée selon laquelle l’être humain n’utiliserait que moins de 20 % de son cerveau relève d’un « neuromythe », selon la littérature neuroscientifique. Le terme « neuromythe » désigne une croyance erronée ou mal comprise à propos du fonctionnement du cerveau, souvent popularisée par la culture populaire, les médias ou même certains systèmes éducatifs. C’est ce que nous révèle l’étude des chercheurs québécois Stéphanie Lafortune, Lorie-Marlène Brault, Foisy Steve Masson, intitulée : « Méfiez-vous des neuromythes! », publiée par la revue Vivre le Primaire au Canada.  

« L’idée que l’être humain n’utiliserait que 10 % des cellules de son cerveau est l’un des neuromythes les plus répandus…. Or, aucune évidence neuroscientifique n’est venue, à ce jour, appuyer cette croyance populaire », lit-on dans cette recherche parue en 2013.

Au contraire, les recherches en neurosciences ont plutôt montré qu’une simple action comme bouger un doigt peut activer une large proportion du cerveau, et que ce dernier est constamment stimulé, même durant notre sommeil. L’étude débouche sur une conclusion formelle : « dans les milliers de recherches menées en neurosciences, aucune partie du cerveau ne s’est avérée non utilisée! ».

Serge Larivée, Jacinthe Baribeau et Jean-François Pflieger s’inscrivent dans cette même démarche de vulgarisation scientifique visant à corriger les fausses croyances persistantes sur le fonctionnement du cerveau.  « Qui utilise 10 % de son cerveau ? », c’est le titre de l’article qu’ils publient dans la Revue de psychoéducation (vol. 37, n°1, 2008). Contrairement à l’affirmation des 10 % ou 20 %, les chercheurs développent que le cerveau est constamment actif, même pendant le sommeil. Les techniques d’imagerie fonctionnelle (IRMf, TEP) démontrent que chaque région cérébrale contribue, à un moment ou un autre, à une fonction mentale : mémoire, analyse, émotion, perception.

L’étude scientifique s’appesantit par ailleurs sur les origines de cette idée, pour tenter de comprendre s’il y a eu, autrefois, des raisons d’y croire. Serge Larivée, Jacinthe Baribeau et Jean-François Pflieger arrivent à la conclusion que malgré sa persistance depuis plus d’un siècle, l’origine exacte du mythe selon lequel nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau reste impossible à déterminer avec certitude. Plusieurs hypothèses ont été avancées, comme le fait que son origine viendrait d’une anecdote d’Albert Einstein ou des travaux du psychologue William James. Mais, au demeurant, toutes ses hypothèses se sont révélées infondées ou basées sur une interprétation erronée.

Par ailleurs, l’idée de consensus scientifique en défaveur de cette thèse des 10 % du cerveau est aussi partagée par le Centre national de recherche scientifique (CNSR) en France

Les études mentionnées précédemment, comme de nombreuses autres que nous ne pouvons pas toutes relayées, sont unanimes : l’idée que l’être humain n’utiliserait qu’une infime partie de son cerveau est largement rejetée par la neuroscience moderne. 

Le regard d’un neurologue camerounais

Afin d’allier les arguments issus des travaux scientifiques archivés sur Internet à l’avis d’un spécialiste local, 237 Check a contacté le Dr Leonard Ngarka, neurologue à l’Hôpital Central de Yaoundé. Au cours d’un entretien audio via WhatsApp le 19 juillet 2025, il qualifie, lui aussi, cette affirmation de mythe. “Ce n’est pas vrai, parce que c’est un mythe”, affirme-t-il dès l’entame de son propos.

Selon lui, cette idée fausse découle de deux origines. D’abord, d’anciennes études scientifiques mal interprétées, qui, en évaluant le cerveau lors de tâches spécifiques, avaient conclu à une faible mobilisation des neurones. Les recherches plus récentes, explique-t-il, démontrent que le cerveau reste actif même durant le sommeil et qu’en fonction des activités, différentes régions cérébrales s’activent. Il ajoute : “On peut utiliser même jusqu’à 100 % de notre cerveau. Même si on ne sait pas toujours comment chaque partie fonctionne, le cerveau humain est pleinement mobilisé selon les contextes.”

Concernant les capacités cognitives à un âge avancé, Dr Leonard Ngarka souligne que le cerveau vieillit, mais à des rythmes variables. Ce vieillissement dépend notamment de ce que l’on appelle la réserve cognitive (un capital de résistance cérébrale influencé par le niveau d’éducation, l’environnement social, les habitudes de vie et les prédispositions génétiques).

Ainsi, “deux personnes du même âge peuvent ne pas avoir le même profil cognitif. Un individu de 90 ans peut parfaitement conserver ses facultés mentales s’il a entretenu sa réserve cognitive”, précise le neurologue. Pour confirmer l’état cérébral d’un individu, précise-t-il, il faut faire recours à des examens de neuropsychologie.

Verdict

L’allégation de Parfait Onguene selon laquelle l’être humain n’utiliserait que moins de 20 % de son cerveau tout au long de sa vie est scientifiquement infondée. De très nombreuses recherches en neurosciences réfutent catégoriquement cette croyance, désormais classée parmi les « neuromythes ». Les données issues de l’imagerie cérébrale moderne et citées par les études présentées dans cet article, montrent que le cerveau humain est constamment actif, même au repos ou pendant le sommeil. 

En clair, aucune zone du cerveau ne reste inutilisée de manière durable. Le neurologue camerounais Dr Leonard Ngarka, interrogé dans le cadre de cette vérification, corrobore ce point de vue. Le spécialiste en service à l’hôpital central de Yaoundé, affirme que la neurologie moderne démontre que l’être humain peut faire usage de l’ensemble de ses capacités cérébrales selon les contextes, dans la mesure où chaque région cérébrale est sollicitée pour des tâches précises. 

Par ailleurs, bien que l’âge puisse diminuer les facultés mentales et être un facteur des pathologies comme l’Alzheimer, il n’est pas nécessairement synonyme de déclin cognitif. La santé du cerveau dépend aussi des pesanteurs individuelles, environnementales et génétiques. Toutefois, loin des discours de profane, les experts recommandent de se référer aux examens neuropsychologiques pour émettre un avis d’autorité sur l’état cérébral d’une personne ou son aptitude à pouvoir assumer certaines fonctions. 

Ce fact-check a été produit par 237 Check dans le cadre du programme d’incubation de l’Alliance africaine de vérification des faits (AFCA). Il a été réalisé sous le parrainage de PesaCheck, l’initiative de vérification des faits de Code for Africa, avec le soutien technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, financée par le Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et l’Union européenne (UE). Le mentorat de l’AFCA respecte l’indépendance journalistique des chercheurs, en leur offrant l’accès à des techniques et des outils avancés. La prise de décision éditoriale reste du ressort de 237 Check. Vous souhaitez en savoir plus ? Visitez https://factcheck.africa/

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