Intimidation/harcèlement en ligne et réseaux sociaux : nouvelle forme de violence et de conquête électorale dans le champ politique au Cameroun.

Introduction

Avec internet, on assiste à l’industrialisation de la parole privée, qui est le terrain de jeu de la publicité virale, du marketing social où il est possible pour l’entreprise d’établir une relation personnalisée avec le consommateur, indique Jean-Paul Lafrance. Dans cet univers virtuel, les appropriations varient d’une personne à une autre, en fonction des objectifs recherchés. Les hommes politiques en ont fait leur terrain de chasse face à la rigidité des lignes éditoriales des médias de masse. Ils possèdent désormais leurs propres espaces d’échange sans filtre avec leurs publics. Bien que, pour la plupart, n’étant pas de la génération née avec la floraison des réseaux sociaux, ils ont réussi à accommoder leur communication avec le concours de leurs différentes équipes de communication.

Image 1 : compte X  Paul Biya                 Image 2  : compte X Maurice Kamto

Image 3 : compte X Cabral Libii

L’environnement numérique a connu une percée fulgurante au Cameroun ces dernières années. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux de pénétration d’Internet s’élevait à 45,6 % pour une population estimée à 28,28 millions de personnes en début janvier 2023; soit 12,89 millions d’internautes, selon le dernier rapport mondial sur l’évolution du numérique (Digital 2023. Global Overview Report).

Il est évident que ces chiffres ont nettement évolué un an après. Avec 3,90 millions d’utilisateurs des médias sociaux en janvier 2023, soit 13,8 % de la population totale, le taux d’interaction est en nette hausse. Depuis 2016 avec la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les réseaux sociaux sont devenus un champ d’expression inéluctable. Ils ont plus servi pour la propagande et l’exposition des souffrances vécues sur le terrain par les différentes parties prenantes et les victimes de ce conflit aux conséquences désastreuses. Certains internautes en ont également fait le canal de la désinformation et des discours de haine. Ces dernières années dans le monde, le nombre d’utilisateurs d’internet a connu une explosion justifiant ainsi son hyper présence dans les interactions sociales. 

Avec l’élection présidentielle de 2018, on a franchi un nouveau cap. Les hommes politiques sont devenus la cible des internautes. Des attaques se multiplient sans phares. Paul Biya, Maurice Kamto et Cabral Libii, respectivement 1er, 2e et 3e à l’issue du scrutin, cristallisent les attentions au fil des jours. Au lendemain de l’élection présidentielle, le compte Facebook du président Biya est devenu inactif, contrairement à ceux de Maurice Kamto du MRC et de Cabral Libii du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN). De manière constante, ils sont plus actifs sur le réseau X. Des followers scrutent régulièrement ces comptes avec des objectifs divers. Certains y sont avec l’intention de harceler les titulaires. Pour l’UNICEF, le cyber-harcèlement c’est lorsqu’une personne reçoit sur internet ou sur son téléphone portable des messages répétés et malveillants. Ces messages peuvent contenir des menaces, des insultes ou du chantage. Ces hommes politiques reçoivent des piques et des menaces après chaque tweet ou post. La situation prend des proportions inquiétantes en ce sens que, ces menaces ne reposent très souvent sur aucune argumentation solide. Ces acteurs politiques conscient de la puissance de ces outils, font des posts dans l’optique de maintenir leurs bases et convertir de nouveaux partisans pour les prochaines échéances. 

Corps

Le 16 novembre 2023, le Pr Mono Ndzana meurt à l’hôpital Général de Yaoundé. Philosophe reconnu, il aura marqué les esprits et le monde universitaire avec ses travaux. Son collègue, le Pr Maurice Kamto, par ailleurs président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), a rendu hommage au défunt dans un tweet sur son compte X. Un hommage jugé polémiste par des internautes. Ils n’ont pas raté cette occasion pour couvrir le président du MRC d’insultes. La sortie de ce dernier est jugée « tribaliste » par certains internautes.

La rhétorique construite autour de Maurice Kamto par ses détracteurs puise dans le champ lexical du dénigrement. Il y a une récurrence des mots ou d’expressions tels que : tribaliste, créature de Paul Biya, piètre opportuniste, etc. Cette violence discursive des internautes a pris de l’ampleur. Des chefs traditionnels du département de la Lekié, dans la région du Centre, sont même allés plus loin. Ils ont organisé des séances « occultes » prédisant ainsi, au regard de la scène, la mort de l’homme politique. Des images largement relayées sur internet. Ces clichés ont choqué plus d’un. La symbolique de cette scène a fait l’objet de plusieurs émissions sur plusieurs supports de média classiques, notamment la radio et la télévision.

Nous sommes à l’ère de la bipolarisation de la pensée au Cameroun. C’est le « si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi ». Cela se vérifie avec les autres hommes politiques aussi. Les opposants au régime de Paul Biya l’accablent de tous les noms. Sa fonction, malheureusement, ne dissuade pas ses détracteurs en ligne. Aucune retenue dans le choix des mots. Chacun y va en fonction de son envie, déversant sa bile sans mettre des gangs. Les adjectifs utilisés tournent autour de l’autoritarisme. Pourtant, le Cameroun se positionne comme un pays démocratique. Certains le surnomment « empereur Barthemy ». D’autres évoquent son bilan à la tête du pays en des termes peu glorieux : 41 ans de médiocrité. Chacun est désormais producteur de contenus politiques agrémentés d’insultes, de menaces et de dénigrement. Tout le monde y donne désormais un avis ; plus besoin d’aller vers les médias classiques. Ceux-ci sont asphyxiés par la surproduction des contenus sur les réseaux. Son traditionnel message, (ce 31 décembre 2023) a été mal apprécié par ses « pourfendeurs ». Le président Biya a été pris à partie par de nombreux internautes comme en témoignent les screenshots ci-dessous. 

Le président du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN), Cabral Libii, ne fait pas l’exception. Même ses comptes sur les réseaux sociaux font l’objet d’un suivi permanent. Le moindre de ses posts est couvert d’insultes. Certains le voient comme un « opposant de l’opposition » convoquant à chaque fois la présidentielle de 2018. Des clichés visant à le discréditer aux yeux du public. D’autres le qualifient de « traître » sans véritable argument.

En réalité, la liberté de ton offerte par les réseaux sociaux met à mal la réputation des acteurs de tout bord. Il suffit d’émettre un avis contraire pour recevoir les déjections de tout ordre. Les différentes rancœurs issues des désaccords dans la vie offline sont crûment déversées sur la toile. Le président du PCRN en souffre régulièrement comme les autres. La problématique de l’utilisation des réseaux sociaux au Cameroun reste un problème social. Loin d’être un simple espace virtuel d’échange, ils ont franchi un cap en s’inscrivant dans un paradigme dangereux pour la cohésion sociale. 

Après analyse, il est probable que les militants de ces différents hommes politiques se combattent mutuellement sur les réseaux sociaux. Les différents commentaires enregistrés sous les publications en disent long. Avec la restriction des manifestations publiques, les réseaux sociaux sont devenus un exutoire. Des sujets de discorde se transforment en joute verbale violente. Une junte virtuelle avec la prolifération des fake news visant à discréditer l’adversaire. Les prises de parole des uns et des autres sont suivies par des adversaires politiques. Les militants sont prêts à réagir avec une violence verbale inouïe. 

De manière globale, personne n’est à l’abri de la bataille que se livrent les internautes. Les hommes politiques, de par leur posture et aura, sont très souvent la face visible de l’iceberg. Des avis contraires sur une question qui défraient la chronique peuvent faire l’objet d’une attaque personne. Des menaces parfois physiques sont proférées en guise de mise en garde. Ils ne sont pas les seuls à se faire couvrir de couleuvre.   

Ces différentes sorties n’ont pas réussi à rabibocher une bonne partie de la toile qui ne cache pas sa haine et ses idées reçues sur Nathalie Nkoah. Dans cette affaire, l’artiste Goku 237, lui aussi cité, est violemment attaqué sur sa mélanine. Certains en ont fait un règlement de compte prononcé avec des discours insoutenables. La sentence est prononcée pourtant le code pénal dans est clair : toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées. Une disposition foulée au pied régulièrement.

Il suffit d’une contradiction pour être étiqueté. Les réseaux sociaux sont devenus une jungle. Chacun s’y aventure désormais avec ses armes. Entre quête d’électeurs, intimidation et harcèlement, la toile est en état d’alerte au Cameroun.

Loin de cette logique violente qui structure les échanges sur les réseaux sociaux, ces hommes politiques essaient de tirer avantage. Les stratégies vont d’un camp à un autre. Mais de manière constante, ils prennent la parole pour prendre à témoin l’opinion nationale des errements du pouvoir en place afin d’attirer une certaine sympathie du public et de conforter leurs militants dans la quête à un quotidien nouveau. Akere Muna et Kah Walla ont ce positionnement désormais sur les réseaux sociaux. L’ancien bâtonnier a pris sur lui de dénoncer la corruption dans le secteur des hydrocarbures notamment dans l’affaire Glencore. Il en a fait un combat personnel avec des dénonciations violentes. Même la présidente du Cameroon people’s party (Cpp) brille par des actions d’éclats sur le réseau X. L’idée à chaque fois est de relever les manquements du pouvoir en place pour s’attirer la sympathie des potentiels électeurs. Elle appelle d’ailleurs à la transition politique. 

Une sortie du leader du MRC du 27 novembre 2023 sur son compte au sujet de la manifestation du PCRN avait été diversement appréciée. 

Certains en commentaire parlaient d’une récupération alors d’autres n’ont pas caché leur fierté en lisant ce post reposté 132 fois et 17 citations et 508 j’aime.

Il y a encore quelques mois, un Camerounais nommé « Willy le siffleur » a harcelé Maurice Kamto devant son domicile à Yaoundé. Certains activistes sur la toile harcèlent régulièrement le président Biya en Europe et plus précisément en Suisse. A quelques mois des prochaines échéances électorales au Cameroun, des formations politiques s’organisent déjà. Les comptes des candidats serviront d’outils de propagande. 

Conclusion

Les médias de masse classiques accordent très peu d’espace aux hommes politiques dans leurs grilles de programme et colonnes. Pourtant, ils manifestent des envies quotidiennes d’échanger avec leurs militants et sympathisants. Face à ces contraintes, des hommes politiques ont pris l’initiative de s’installer sur les réseaux sociaux à travers leurs espaces. Ils peuvent s’en servir à souhait sans restriction. C’est le nouveau lieu de rencontre où les débats restent houleux entre les différents bords. Le choc des idées vire très vite aux insultes incontrôlées car, c’est loin d’être un Eden. Dans ce milieu, les nerfs sont régulièrement à fleur de peau. Les hommes politiques sont régulièrement harcelés avec pour but de les isoler et de les forcer à se taire. Une véritable jungle virtuelle. Les craintes d’un affrontement dans la vie réelle (off-line ou rapports physiques quotidiens) sont très souvent redoutées. Avec les désaccords et la bipolarisation de la pensée qui règnent en ligne, le harcèlement a de beaux jours devant nous. Des hommes politiques pataugent dans cet océan diffus pour toucher l’ethos des internautes avec leurs textes à chaque fois pour convertir plus d’un à leur cause. Des mesures préventives urgentes doivent être prises pour assainir un milieu détourné de son objectif originel. 

Recommandations

Avec le développement technologique et l’hyper présence des réseaux sociaux dans le quotidien des camerounais, les violences sont monnaie courante. Aucune couche sociale n’est à l’abri des harcèlements. Pour certains analystes, plusieurs pays africains n’étaient pas prêts à accueillir ces nouveaux outils de socialisation. Sauf qu’avec la mondialisation qui ignore les frontières conventionnelles, les nations doivent désormais s’y accommoder. Surtout que l’Intelligence artificielle s’étend à grand avec le développement d’une nouvelle forme de violence. 

Si les plateformes ont développé des astuces pour signaler les posts jugés dangereux, il y a également la possibilité de bloquer ses auteurs. Au-delà de cette responsabilité qui incombe aux plateformes (Facebook, Twitter…) le gouvernement doit adresser cette problématique avec raison. Plusieurs mesures doivent être prises. La première, à notre avis, est d’inclure l’éducation au média dans les programmes. Ce cours permettra d’aider les internautes à revoir leurs activités en ligne ou servir de boussole à ceux qui ne sont pas encore présents dans ce nouveau monde de l’influence. Les gouvernants doivent mettre également des instruments juridiques solides en insistant sur la sensibilisation. Dans leur rôle d’éducation entre autres, les partis politiques devraient sensibiliser également autour d’eux pour assainir le cyber espace.

Solière Paka, boursier 9e cohorte #AFFCameroon

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