FAUX! la chicha est toxique pour l’organisme humain

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Contexte

Faisant suite à une opération des forces de police camerounaise visant à saisir les chichas dans un lieu de consommation de ce narguilé au quartier Bastos à Yaoundé, le débat sur sa toxicité pour l’organisme humain a interrogé les panélistes de l’émission Canal Presse le dimanche 29 septembre 2024 sur Canal 2 international. Au cours de ce programme de grande écoute, Hamat Toukour Ghandy a affirmé que la chicha n’était pas une “drogue”, un produit dangereux. “Quand vous prenez même la chicha. Elle n’est pas une drogue. Elle n’a jamais été interdite au Cameroun. C’est comme le tabac, on vous dit que lorsque vous achetez du tabac, il nuit gravement à la santé, mais des gens le fument”, défend le cadre du Parti camerounais pour la Réconciliation nationale (PCRN) dans l’une de ses prises de parole.

Sa déclaration a tôt fait d’écumer la toile. Médiatude, une page Facebook consacrée à l’actualité sur les médias et leurs contenus et suivie par 475 mille abonnés, a relayé l’assertion de cet homme politique. Le post a également été partagé à quatre reprises dans des groupes, des murs personnels ainsi que d’autres pages dont le groupe Amis des Médias du Cameroun qui compte 48 mille membres. Ces nombreuses réactions ont accru sa visibilité, favorisant la propagation d’une information qui mérite d’être vérifiée auprès des sources crédibles en la matière. 

Pour appuyer son point de vue en faveur de la défense de cette pipe à eau, Hamat Toukour Ghandy évoque par exemple le cas de l’Arabie Saoudite, un pays où la selon lui la lutte contre la consommation des substances illicites se veut stricte, mais où la chicha est néanmoins répandue. Dans les commentaires de cette publication, on peut aisément constater que certains internautes sont d’avis avec Hamat Toukour Ghandy sur la chicha et assument en prendre comme l’atteste la capture d’écran de ce commentaire où il écrit : “tant que je vis, je fumerai toujours la chicha”.

Si Médiatude et les réseaux sociaux en générale n’ont partagé qu’un petit extrait de son discours sur la chicha, l’entièreté de ses propos est disponible sur la chaîne YouTube de Canal 2 International, où cette émission de Canal Presse du 29 septembre 2024 a déjà été publiée. 

Processus de Vérification

En se référant aux informations contenues dans le site internet de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’on peut constater qu’il est scientifiquement établi que la chicha est un produit dangereux. Selon l’organisation onusienne, la consommation de tabac pour pipe à eau ou chicha, “est aussi nocive pour la santé que celle par cigarette”. Cependant, précise-t-elle, les risques sanitaires associés à celle-ci sont largement méconnus des consommateurs.

En effet, ‘‘le tabac pour pipe à eau renferme également de nombreuses toxines connues pour provoquer, entre autres, des maladies pulmonaires et cardiaques ainsi que des cancers. Même après avoir traversé l’eau, la fumée produite par un narguilé contient des taux élevés de composés toxiques, dont du monoxyde de carbone, des métaux lourds et des substances chimiques cancérigènes. Lorsqu’une personne utilise un narguilé, généralement pendant une heure, elle inhale 100 à 200 fois le volume de fumée inhalé avec une seule cigarette”, peut-on lire sur le site internet de l’OMS.

En clair selon l’institution onusienne, l’usage du narguilé souligne l’organisation mondiale, peut provoquer des bronchites et des maladies respiratoires chroniques. Elle favorise également la transmission des virus de l’hépatite, de l’herpès ou encore la tuberculose.

Le ministère de la Santé du Cameroun dans le sillage de l’OMS

La consommation de la chicha est en pleine expansion au Cameroun. Selon les informations disponibles sur le site du ministère de la Santé, 46% des jeunes de 15 à 20 ans ont déjà expérimenté ce produit. Au regard de la recrudescence de son usage, les autorités ont fait le choix de l’interdiction. Le ministre de l’Administration Territoriale, Paul Atanga Nji avait signé le 7 mars 2022, un communiqué interdisant la consommation de la Chicha au Cameroun. Dans la foulée, une notification avait été transmise à des gouverneurs pour l’implémentation de cette mesure. Cette réalité officielle, qui contraste avec les propos de Hamat Toukour Ghandy au cours de l’émission Canal Press supra mentionnée.

Reprenant à son compte la mise en garde de l’OMS, le Minsanté s’est montré clair dans un article paru en 2022 sur son site internet. Dans la chicha, les fumeurs consomment l’équivalent d’un “monoxyde de carbone de 20 cigarettes, le goudron de 26 cigarettes et un volume de fumée de 40 cigarettes. Les méfaits tels que la dépendance, l’élévation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, l’intoxication au monoxyde de carbone, la perte de conscience, la limitation de la fonction pulmonaire, l’altération du larynx le développement des cancers entre autres, sont les graves dangers qu’encourent les consommateurs de Chicha, devenue un véritable fléau minant le milieu jeune au Cameroun’’, lit-on dans le portail web..

Les experts africains et internationaux sur la même longueur d’onde concernant la chicha 

Charles Fokunang, professeur agrégé de médecine et enseignant au département de toxicologie de la Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales de l’Université de Yaoundé I (FMSB), s’inscrit dans le même ordre idée que l’OMS. Au cours d’une interview qu’il nous a accordée  le 15 octobre 2024 dans les locaux du laboratoire de pharmaco-toxicologie de la FMSB où il exerce, Pr Fokunang souligne que : “la chicha comme la cigarette, contient de la nicotine. La consommation de celle-ci fait sécréter la dopamine, qui est une hormone du plaisir. Cela fait que la chicha peut donc rendre addictif au tabac. Ce qui amène les gens à croire que la chicha n’est pas toxique, c’est qu’elle est diluée dans de l’eau et mélangée à des parfums qui ont une saveur agréable.” Le spécialiste ajoute que : ‘‘la chicha cause des problèmes néonataux et reproductifs chez la femme. Elle provoque aussi selon lui, “de nombreux cancers et des troubles gastro-entériques”. 

Après avoir énuméré les méfaits de la chicha, Pr Charles Fokunang relève que dans l’environnement camerounais où la consommation des cigarettes est parfaitement légale, il est compliqué de réussir à instaurer l’interdiction de la chicha sans rencontrer des freins comme on peut l’observer aujourd’hui. 

Dans d’autres pays africains, le débat sur les méfaits de ces substances intéresse également les scientifiques. Au Mali par exemple, l’engouement croissant pour la consommation de chicha parmi les jeunes à Bamako a suscité plusieurs études menées par l’équipe du Professeur Yacouba Toloba, chef de service de pneumologie au Centre hospitalier universitaire (CHU) du Point G. Ces recherches se concentrent sur les connaissances, attitudes et comportements des adolescents vis-à-vis de cette pratique. Dans son étude réalisée via un questionnaire en ligne auprès de 364 jeunes de la commune 4, 13 % des répondants ignoraient que la chicha pouvait causer des maladies respiratoires, et une part significative des jeunes croyaient à tort que l’eau du réservoir filtrait les substances toxiques.

Face à ces constats, les autorités maliennes ont réagi en interdisant l’importation, la distribution, la vente et l’usage de la chicha sur le territoire national depuis le 15 août 2022. Cette mesure, accompagnée de sanctions pénales, est entrée en vigueur un an plus tard. 

Le Canada n’est pas en reste. Au Québec, l’École de Santé publique de Montréal s’est également intéressée aux questions liées au tabagisme et à la toxicité des pipes à eau comme nous l’a confirmé Annie Montreuil, Professeure associée au Département de médecine sociale et préventive de cette école dans un entretien que nous avons eu via mail le 22 octobre 2024. Selon ses propos, la loi concernant la lutte contre le tabagisme adoptée en 2015 assujettit la chicha aux mêmes dispositions que les autres produits du tabac fumés, incluant celles ne contenant pas de tabac. Son usage est donc interdit dans tous les lieux publics intérieurs, à l’exception de quelques commerces qui permettaient son usage avant 2015 et ont pu conserver une permission spéciale pour continuer à le faire”, indique-t-elle. 

 “Vous trouverez, aux pages 27-28 de ce document, plus d’informations sur les risques de la chicha. Comme l’usage de ce produit n’est pas très prévalent au Québec (moins que la cigarette et le vapotage) nos travaux n’ont pas porté spécifiquement sur ce produit depuis 2015.

https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/2032_memoire_loi_44_tabagisme.pdf”, oriente Annie Montreuil. 

En consultant la référence qui nous a été envoyée, on y retrouve les mêmes dangers sur-évoqués : “les études réalisées à ce jour au Québec, indiquent que la fumée de chicha contient de nombreuses composantes dommageables pour la santé telles que le monoxyde de carbone, des substances cancérigènes, du goudron et des métaux lourds comme l’arsenic, le cobalt ou le plomb (Shihadeh et coll., 2015). Comparativement à l’usage d’une cigarette, une séance de pipe à eau expose l’utilisateur à une quantité beaucoup plus élevée de :  goudron;  monoxyde de carbone (qui provient principalement de la combustion du charbon);  nicotine (sauf si la préparation est à base d’herbes plutôt que de tabac);  hydrocarbures aromatiques polycycliques”, confirme un étude de l’Institut national de Santé public du Québec. Les résultats des travaux de chercheurs de ce laboratoire vont plus loin, en indiquant que la chicha est un produit “dommageable pour la santé, même sans tabac”.

Verdict

La chicha encore appelé narguilé, est une pipe à eau utilisée pour fumer du tabac. Dans sa composition, ce tabac sous forme de tabamel est additionné à des arômes de divers parfums et le mélange se consume à l’aide du charbon bois. D’après nos vérifications et contrairement aux idées reçues, l’inhalation de ce produit peut s’avérer très nocif pour la santé des adeptes. L’OMS,  le Minsanté, une étude réalisée au Mali, les experts à l’instar du toxicologue camerounais Charles Fokunang et de la canadienne Annie Montreuil que nous avons consultés, constituent autant de sources différentes qui nous ont permis de confirmer cet état de fait.  

Par Cédric MIMFOUMOU ZAMBO

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