LES DISCOURS HAINEUX ET IDENTITAIRES COMME DÉVELOPPEMENT DE LA CULTURE DE L’ENNEMI DANS L’ESPACE SOCIOPOLITIQUE CAMEROUNAIS

La politique, dans son essence la plus pure, est perçue comme la gestion de la cité avec pour but le bien commun. Au Cameroun, elle est malheureusement en train de devenir l’art de la destruction mutuelle. En effet, l’arène politique camerounaise est devenue, à bien des égards, une arène de gladiateurs où l’on cherche la mise à mort symbolique de l’autre plutôt que le triomphe des idées porteuses de solutions visant le bien-être de tous. Selon AfricaNews, cette période électorale passée aurait cumulé environ 16 morts et plus de 800 arrestations. 

Ce rapport vient tirer la sonnette d’alarme sur une pathologie qui gangrène notre espace public : “la culture de l’ennemi juré”. C’est un phénomène où l’opposition à un autre groupe, ou individu, devient un point central de l’identité. Nous observons de plus en plus une dérive inquiétante dans laquelle l’adversaire politique n’est plus un simple concurrent avec qui l’on débat d’un projet de société, mais un ennemi intime à faire tomber, et à humilier autant que faire se peut. Ce document veut s’adresser particulièrement aux acteurs politiques de tous bords, sans aucune distinction d’appartenance politique : vos mots sont des armes chargées, et elles blessent la société camerounaise bien plus profondément que vous ne le pensez.

Des études spécialisées alertent sur le danger universel que constituent les discours politiques haineux : ils sont une pathologie contagieuse qui détruit le tissu social de l’intérieur. De la théorie de la “Contagion Émotionnelle” (Christakis et Fowler) à la notion de “Polarisation Affective” (Shanto Iyengar), les chercheurs démontrent que lorsque les leaders transforment l’adversaire en ennemi existentiel, ils légitiment la haine dans l’espace public. 

​Plusieurs nations souffrent de ce mal : En Inde, des leaders ont comparé les minorités Musulmanses à des “termites”, des “infiltrés” devant être chassés de l’État, légitimant la discrimination et la violence. Au Royaume-Uni, des médias influents ont qualifié des juges de la Haute Cour d'”Ennemis du peuple” (Enemies of the people), fragilisant la confiance dans l’indépendance de la justice. ​Au Brésil, des figures politiques ont diabolisé les opposants, les traitant de forces qui “pourrissent” la nation, appelant consciemment ou pas, à la destruction symbolique de l’autre camp.

​Bien que perçue par l’élite comme une simple tactique, cette rhétorique toxique où l’humain est réduit à un fléau à éradiquer, est en réalité une arme de destruction massive qui érode la confiance et resserre les barreaux représentatifs de la division sociale. 

La culture de l’ennemi est un système dans lequel l’autre est perçu comme intrinsèquement hostile, divisant de ce fait la société en deux : d’un côté “nous”, et “eux” de l’autre. Étant donné que l’ennemi est souvent décrit d’une façon déshumanisante, la violence envers ceux ci est dès lors perçue comme plus acceptable, ou même “légitime”. En effet, selon les analyses de Carl Schmitt, la “culture de l’ennemi” engendre la violence car elle opère un glissement du politique vers la “guerre”. Ainsi, l’autre n’est plus perçu comme un simple adversaire, avec qui l’on est en désaccord mais dont on reconnaît la légitimité, mais un ennemi existentiel qu’il faut “anéantir”. 

L’Anatomie de l’Insulte Publique

Une observation minutieuse et poussée des plateaux de télévision du dimanche et des fils d’actualité sur X (Twitter), TikTok ou Facebook révèle une stratégie de communication principalement basée sur trois piliers toxiques, que nous avons pu regrouper en deux sections.

D’un côté nous avons des attaques personnelles et la Diabolisation. Il est devenu courant de voir des responsables politiques, censés être des modèles d’élégance intellectuelle, s’attaquer non pas aux arguments, mais aux personnes. Et de l’autre, nous faisons souvent face à des incursions dans l’intimité et la famille de l’adversaire politique. Cette barrière est franchie de plus en plus, dans le but de troubler ce dernier, rendant les discussions mouvementées. Nous considérons ce genre de pratique comme profondément malsaine, car, s’attaquer à la famille, à la vie privée, ou aux origines d’un acteur politique dans le but de le déstabiliser est une bassesse morale. De ces deux sections peuvent découler les comportements récurrent qui suivent : 

– Le Déni d’Intelligence : ici, il est récurent de voir un homme politique traiter un opposant ou un autre homme politique d’ “énergumène“, de “racaille”, d’ “ignare” ou remettre en cause sa santé mentale en direct ou sur les réseaux sociaux.  Cela sous-entend que penser différemment et le dire est une preuve de bêtise. Ce type de comportement relève d’un acte de violence caractérisée, surtout quand on sait que les plus jeunes prennent souvent plaisir à écouter leurs élites débattre sur les problèmes que rencontre notre société. 

– L’Effet Pervers : Lorsque les acteurs politiques brisent ce tabou sur la vie privée de l’autre sur les réseaux sociaux ou même sur les plateaux de télévision, ils donnent implicitement la permission à leurs milliers de militants d’en faire de même. Ouvrant ainsi la boîte de Pandore du cyber-harcèlement de masse.

– La sacralisation du “Camp” : on peut entendre de ce côté des propos comme “les citoyens camerounais soucieux appartiennent à tel parti, si tu n’es pas avec nous tu es un ennemi du pays”. Ce genre de rhétorique binaire transforme la plus part du temps le citoyen critique en traître de la patrie, et le partisan fidèle en fanatique aveugle. Le deuxième volet de cette sacralisation concerne le dénigrement de certains individus, appartenant ou non à un “camp” quelconque. Dans les cas les plus récurrents sur les réseaux, des dénominations du genre “talibams/ntah liban”, “ekangcre”, “hiboux”, “églisien”, sont utilisées. De même que les réécritures de noms visant à lui coller une connotation négative à l’instar de “Nzui Mantrop/ Nzuipaypal”, “koagne”, etc. Ces constructions nominales, fruits d’un arbre parfois nourri de ressentiment et d’ego, fusent lors de discussions entre “kmer” soit pour signifier son appartenance fière à un quelconque “camp”, soit à la suite ou à l’entame d’une “insulte” ou “provocation”. 

Consommation de masse d’un Poison sociétal

À force de répétition, ce comportement devient bien plus qu’un simple “jeu politique” car il devient le géniteur de conséquences désastreuses aussi bien sur la santé mentale collective que sur la paix sociale.

En réalité, le public qui regarde ces joutes verbales violentes n’en sort pas totalement indemne. Le citoyen spectateur ou le consommateur de discours haineux pourrait être sujet à un Stress Traumatique Vicariant ou traumatisme par procuration. Un peu à l’exemple du fumeur passif qui subit les effets nocifs de la cigarette de celui qui fume tout prêt de lui, être le témoin constant d’agressions verbales crée, consciemment ou même inconsciemment en nous, un climat d’anxiété et d’insécurité. Le citoyen finit par y croire, et surtout légitimer le fait que la violence et la déconstruction de l’autre sont certainement des modes de résolution excellents de conflits.

Tout à côté de cela, nous pouvons observer une perte croissante de repères. Étant donné la position influente occupée par les élites dans notre société, quand ces dernières se retrouvent à utiliser fréquemment des insultes, le peuple imite forcément. Ne dit-on pas que l’exemple vient d’en haut ? Une chose entraînant une autre, ceci rend très compliqué la tâche du maintien d’un climat civique sain dans notre société. Car, comment demander à la jeunesse d’être plus respectueuse et civique dans leurs actions si leurs aînés s’invectivent comme des chiffonniers devant les caméras et derrière leurs claviers ?

Un autre volet, ou conséquence à ne pas négliger, est la Fragilisation de la Cohésion Sociale : le discours de haine politique étant le précurseur de la violence physique. Cette manie de diaboliser de façon permanente l’autre, avec des termes du genre “ce sont des méchants”, “ce sont des destructeurs”, “ce sont des voleurs”, on prépare justement les esprits, forts et surtout faibles, à justifier d’éventuelles violences contre les personnes en question. Aussi, les mots ont ce pouvoir là de créer des barrières et murs infranchissables entre les Camerounais qui, avant, avaient de bonnes relations sociales. Telle est la raison pour laquelle on peut observer en société des situations comme celle d’un Monsieur qui en vient à ne plus parler à son voisin simplement parce que tous deux soutiennent des leaders qui passent leur temps à s’insulter mutuellement sur la toile ou sur les plateaux.

Recommandations

De la nécessité de l’élévation des Débat, et pas des Voix

Nous voudrions adresser ce message à vous, autorités et acteurs politiques influents de notre société, élites et assimilés : Vous portez sur vos épaules une responsabilité historique énorme, car vous êtes beaucoup plus que des quêteurs de voix, vous êtes des éducateurs de masse de grande envergure.

Au regard des écarts fréquemment observés, il devient urgent de :

– Communiquer davantage sur la nécessité et l’importance d’une Hygiène Verbale en ligne et en dehors. Ceci à travers des actions telles que des appels collectifs à un pacte de non-agression verbale, l’érection des familles en sanctuaire dans le sens où les épouses, les enfants et les vies privées des Hommes politiques doivent rester hors du champ de bataille politique. Pour terminer, la réduction drastique des insultes sur l’intelligence : La diversité d’opinion reste et demeure une richesse, et non une tare.

– Penser une redéfinition du Courage Politique. En effet, le courage politique n’implique pas l’utilisation des mots les plus blessants ou la repartie la plus cinglante qui est susceptible de faire le “buzz” ou suscitera un maximum de réactions. Le vrai courage se trouve également dans le fair-play ainsi que le respect de celui qui vous contredit. C’est également une certaine maturité qui nous pousse à dire à nos militants : “Critiquez son programme et/ou ses idées politiques sans pour autant évoquer les éléments de sa vie privée.”

Étant conscient de ce que l’arrogance du vainqueur est autant destructrice que la rancœur du vaincu, il serait essentiel de garder entre opposants des comportements responsables, car de ceux-ci découlent forcément le maintien de la dignité de chacune des parties, aussi bien dans la victoire que dans la défaite. 

Conclusion : L’héritage que nous pourrions laisser…

Si l’on retire les insultes, les invectives et les attaques personnelles de vos discours actuels, que reste-t-il ? De bons projets de société ? Des rêves pour le Cameroun ? Ou seulement du vide et de la haine ?

Le Cameroun a plus que jamais besoin de bâtisseurs, pas de destructeurs de réputations ou du tissu social. Les élections passent, les gouvernements peuvent changer, mais le peuple lui, reste. Évitons d’incendier la maison commune simplement pour prouver que nous avons raison.

Nous nous permettons, en conclusion, de demander solennellement un retour à la bienséance républicaine. Nous demandons à chacun des acteurs de prendre une certaine hauteur, parce que c’est en élevant le niveau du débat que vous enlèverez le Cameroun.

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Cet article de factchecking est de Pesa Check et partagée sur 237 Check dans le cadre programme de bourse AFCA, soutenu par le Partenariat Européen pour la Démocratie.

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