

Pendant la campagne présidentielle d’octobre 2025 au Cameroun, les réseaux sociaux au Cameroun n’ont pas simplement servi à diffuser des programmes politiques : ils sont devenus des espaces de cristallisation identitaire. Dans un contexte marqué par des inégalités historiques, des ressentiments régionaux et des fractures socio-économiques, le numérique a permis à des acteurs politiques, civils ou extérieurs d’exploiter les identités ethniques et régionales pour semer la division. Selon le rapport de CIPESA (The collaboration on International ICT Policy for East and South Africa), des “propagateurs de désinformation”ont activement ciblé des groupes ethniques dans leurs récits, soulignant une stratégie bien plus sophistiquée que de simples “fake news” :il s’agissait de polariser sur la base de l’identité afin de fragiliser la cohésion nationale.
Quand les rumeurs jouent sur l’appartenance ethnique
Les contenus diffusés par les utilisateurs de Facebook ont illustré cette dynamique identitaire : plusieurs publications affirmaient que des communautés comme les Bamiléké,Betis, les Peuls ou d’autres seraient favorisées, ou au contraire marginalisées, dans le comptage des votes. Ces messages ne se limitaient pas à des accusations vagues, mais présentaient des preuves visuelles: captures d’écran, faux communiqués qui renforcent leur crédibilité pour certaines audiences.
Un exemple saisissant est rapporté par KamerAndroid : des jeunes décrivent sur TikTok, Facebook et WhatsApp des stéréotypes violents (“mon ethnies va dominer”, “vous ne comprenez pas votre village”) qui, selon eux, sont bien plus qu’une rhétorique : ils constituent une menace perçue. Ces discours identitaires alimentent la peur non seulement sur la base linguistique (francophones / anglophones), mais selon des lignes plus fines : régionalité,appartenance,ethnique,stigmatisation,sociale.
Le rôle des acteurs transnationaux et des hashtags polarisants
Au-delà des discours locaux, la diaspora camerounaise joue un rôle central dans l’amplification des récits tribalistes. Sur Facebook et X des hashtags comme #unbamilékéneserajamais président (la plupart du temps utilisé par Tolis.com pour marginaliser la tribue bamileke), ou #Ekangcres (un terme qui combine la tribu Ekang au pouvoir et le suffixes Crès/kangres qui atteste que les Ekang sont des cancres, #MiliceBulu qui fait allusion à l’armée camerounaise qui selon certains peuples est constitué uniquement population bulu/beti, sont devenus des espaces de contestation identitaire. Selon le rapport de CIPESA, des acteurs politiques comme et étrangers exploitent ces lignes de fracture en ligne pour “souligner des narratives de menace communautaire et de repli identitaire” autour des élections comme la Sénatrice F. Puene avait menacé lors d’un meeting politique de chasser les étrangers vivants dans sa localité si ces derniers ne donnent pas au parti de son candidat n’y gagne pas les élections .
Ces récits ne se contentent pas d’être partagés : ils sont instrumentalisés. Certains comptes influents, propagent des discours discriminatoires ou polarisants, ciblant des ethnies spécifiques.
La dramatisation par l’image sur TikTok
TikTok apparaît comme une plateforme particulièrement efficace pour créer des visuels émotionnels, mobilisant la jeunesse autour de récits partagés. Des vidéos montrant des rassemblements, des conflits locaux ou des affrontements sont sorties de leur contexte pour présenter des tensions ethniques comme des menaces imminentes Par exemple, un internaute lors d’un life TikTok mobilisait ses freres Ekang du Gabon dans un “aide moi a detester les Bamilekes” accompagnes d’injures et de propos haineux. D’autres utilisateurs rapportent que des vidéos de manifestations dans certaines régions étaient “vendues” comme des preuves de conflit ethnique, alors qu’elles provenaient parfois d’événements non liés aux élections. Cette instrumentalisation visuelle produit un effet de légitimité émotionnelle : si je vois “ma communauté en danger”, je suis plus enclin à réagir, à me mobiliser ou à redouter l’autre. Dans certains cas, ces vidéos ont été reprises systématiquement dans des groupes WhatsApp ou sur Facebook, contribuant à entretenir un climat de peur.
Quand les cercles fermés diffusent la division
Les groupes WhatsApp restent des endroits où les informations, même “trompeuses”, sont perçues comme plus crédibles à cause de la confiance dans les participants. Des messages vocaux circulaient affirmant que des communautés “allaient prendre le contrôle”, -+e cas par exemple d’une note vocale d’une dame de l’administration qui refusait de signer les documents d’un jeune à cause de sa partenance ethnique disait-elle “je ne peux pas signer le document d’un Nordiste ou d’un bamiléké…” bien que nous ne sachions pas si cet audio a été fabriqué afin de manipuler ou non car fraudes massives étaient planifiées spécifiquement selon l’ethnie. Ces rumeurs, difficiles à vérifier rapidement, exploitent la proximité relationnelle : dans beaucoup de groupes, il y a des liens d’amitié, familiaux ou communautaires, ce qui renforce l’impact ou détruit le détruit également.
Selon la Déclaration de Yaoundé (forum ADISI), cette “tribalisation du débat public” se manifeste en ligne sous des formes très précises, notamment par des insultes ethniques (mouton du nord, tontinard, Sardinards, porcs) et des accusations de trahison intercommunautaire. Ces récits ne sont pas anodins : ils contribuent à construire une réalité identitaire où chaque vote devient potentiellement une bataille symbolique.
Polarisation et défiance
L’un des effets les plus inquiétants de cette tribalisation numérique est la montée de la méfiance interethnique. Les discours en ligne alimentent une perception selon laquelle chaque vote est une représentation identitaire, pas seulement un choix politique. Cela peut conduire à des comportements où les électeurs ne voient plus la logique d’un scrutin comme un simple débat de projets, mais comme un affrontement existentiel.
De plus, certaines organisations de la société civile à l’instar de Civic Watch ont alerté que cette polarisation menace la paix sociale. Les 16 ONG signataires d’une déclaration commune ont appelé à la vigilance face à la désinformation et aux discours haineux un signal fort que la crise identitaire en ligne n’est pas seulement virtuelle, mais peut avoir des conséquences réelles.
Renforcer la résilience et prévenir l’escalade
Face à ces défis, plusieurs pistes concrètes émergent :
- Renforcer la littératie numérique : il faut des formations dans les écoles, mais aussi
dans les communautés rurales, pour que les citoyens comprennent comment fonctionne la désinformation liée aux identités.
– Promouvoir le fact-checking communautaire : les coalitions citoyennes comme celle de Civic Watch (avec des représentants de médias, des chefs traditionnels, des jeunes) peuvent jouer un rôle clé dans le repérage et la correction des contenus haineux identitaires.
– Encourager la responsabilité des acteurs politiques : les partis doivent s’engager publiquement à ne pas instrumentaliser l’ethnicité dans leurs messages, en signant par exemple une charte contre le discours de haine.
– Mettre en place un mécanisme d’alerte rapide : les plateformes pourraient coopérer avec des ONG pour identifier les contenus à haute polarisation ethnique avant qu’ils ne deviennent viraux.

