Désinformation et changement climatique : la contribution des acteurs locaux à la déconstruction des perceptions

Sur le plan mondial comme sur le plan national, le débat sur  les conséquences du changement climatique est d’actualité. Toutefois, il est entaché par la propagation de fausses informations qui sapent les efforts visant à faire face à cette crise. Des théories du complot infondées, des données tronquées et des affirmations trompeuses circulent largement, semant la confusion et compromettant la prise de mesures concrètes et efficaces. Au Cameroun, la vulgarisation des fausses informations relatives aux questions environnementales n’est pas seulement le fait des climato-sceptiques: elles sont parfois des construits de connaissances et habitudes héritées du passé colonial. Pour y faire face, des initiatives au Cameroun voient peu à peu le jour en ligne et hors ligne…

En effet selon Tor Benjaminsen dans d’une étude intitulée : « Conservation in the Sahel, policies and people in Mali, 1900–1998 » les « idées malthusiennes » ont occupé « une place centrale dans le discours des coloniaux » qui n’informent pas à suffisance les africains sur les questions environnementales. pour confirmer cet assertion, dans un article publié le 21 Avril 2021 « Sahel. L’héritage colonial des eaux et forêts, une arme aux mains des djihadistes » il est clairement établi que les chercheurs ont joué un rôle non des moindres dans la promotion des idées coloniales qui visaient à établir une vision raciste et erronée des pratiques agricoles des africains, identifiées comme causes de règlement climatique. Il est cité par exemple,la thèse selon laquelle les méthodes archaïques des africains seraient responsables d’une grande menace sur la région sahélienne en termes de « dessèchement »

Pour mieux illustrer cette thèse, le journaliste Rémi Carayol l’identifie comme une campagne de désinformation tacite et durable. En effet, selon ses écrits, même si cette théorie a été remise en cause par plusieurs chercheurs depuis plus de 3 décennies, elle semble avoir été imposée auprès des décideurs politiques et continue, encore aujourd’hui, d’être considérée comme une vérité. Les discours ont changé; tandis que les anciennes considérations demeurent. 

Cette lecture est partagée par Fadel Kaboub, économiste et Président de l’Institut mondial de prospérité durable. Le 28 Août 2023, au Kenya, durant les activités relatives à la préparation du 1er sommet africain du Climat, ce dernier a fait savoir lors d’une présentation en présence de 50 journalistes venus de 30 pays d’Afrique que « le système financier et les politiques climatiques conçus par le Nord ne sont pas faits pour servir nos propres intérêts ». Prônant ouvertement pour une décolonisation du discours climatique. C’est dans le même ordre d’idées, que s’aligne l’article de Guillaume Blanc qui s’intitule : «L’éden africain sans les Africains » qui démontre et dénonce le colonialisme vert.  Ici, il est écrit qu’« en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Togo par exemple, les écologues ont montré qu’au cours des derniers siècles, le couvert forestier avait progressé. Comme en Europe, les sociétés africaines ont su s’adapter à leur environnement: l’agriculture et la sylviculture ont créé les conditions nécessaires à la pousse des arbres. Mais les experts internationaux continuent d’affirmer que dans ces pays, 60 à 90 % des forêts « primaires » ont disparu sous le coup d’une démographie galopante. En Afrique, en matière d’écologie, les préjugés néo-malthusiens l’emportent sur les faits ». Bien plus, lesdits préjugés pourraient remettre en cause la capacité des africains à œuvrer pour leur environnement. Il faut noter que Guillaume Blanc est expert, spécialiste de l’histoire de l’environnement et de l’Afrique au XXème siècle ; Maître de conférences à l’université Rennes 2 en France. En 2020, il a commis l’ouvrage, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, paru chez Flammarion.

Les climato-sceptiques sèment le doute 

D’un autre côté, le message des climato-sceptiques est délivré sans emballage, sans ambages. L’ouvrage intitulé « Scorcher » de l’auteur australien Clive Hamilton en est la preuve vivante. Publié en 2007, ce livre examine les arguments avancés par le groupe Lavoisier, un groupe australien qui remet en question la réalité et l’importance du changement climatique. Dans « Scorcher », Clive Hamilton soutient qu’« il n’y a aucune preuve de réchauffement climatique ». Cette affirmation nie l’existence même du réchauffement climatique observé et des données scientifiques qui le soutiennent. « S’il y a des preuves de réchauffement climatique, cela n’est pas dû à l’activité humaine », précise-t-il. Voilà donc un discours qui remet en question le lien entre les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine et le réchauffement climatique. Contrairement à ce point de vue, les conclusions du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) et d’autres institutions scientifiques réputées fournissent une base solide pour comprendre les causes et les conséquences du changement climatique.

A en croire Julien Beauvois auteur de l’article dont le titre est : « Fake news : les climato-sceptiques, toujours aussi nombreux » publié sur www.infodurable.fr; une étude de la City University de Londres, réalisée pour l’Agence France-Presse (AFP), a révélé qu’en 2022, il y a eu 1,1 million de tweets ou retweets utilisant des termes climatosceptiques, soit le double de l’année précédente. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) situé en France a également recensé 10 000 comptes Twitter diffusant des théories niant le réchauffement climatique en juillet 2022. Comme l’a indiqué une étude du CNRS publiée en France le 13 février 2023, cette forte activité en ligne permet à ces internautes de prendre une place prépondérante dans l’espace numérique, bien plus que les comptes défendant l’action climatique. Des chercheurs De la Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont démontré en 2018 que les fausses informations se propagent six fois plus rapidement que les informations vérifiées sur les réseaux sociaux. En conclusion, ces algorithmes contribuent ainsi à amplifier la diffusion de contenus climato-sceptiques et peuvent influencer négativement l’opinion publique africaine sur les enjeux liés au changement climatique.

Réponse à la Camerounaise

Au niveau du Cameroun, il y a des jeunes citoyens et des organisations qui prennent ce problème au sérieux. C’est le cas de Lodry Ndongmo, coordonnateur de l’Organisation Non Gouvernementale « African Environmental Network ». Depuis 8 ans, il est engagé pour la cause du climat. Au cours d’un échange en tête à tête  sur le sujet, ce dernier de par les choses vues et entendues dans les communautés à souligner qu’au sein des populations, certains continuent de véhiculer les idées selon lesquelles, la question du changement climatique c’est une affaire d’ « occidentaux ». Il explique que « Ce qui fait que beaucoup pense que sans financement rien ne peut être fait dans le cadre de ce combat. C’est à ce moment que nous leur disons que si nous combattons tous les jours ce n’est pas parce qu’il y a toujours des financements qui nous appuient. On montre que chacun peut faire quelque chose à son petit niveau. Hélas ! Il y en a qui restent sceptiques » a-t-il déclaré. 

Mohamed Adow, est le Directeur du groupe de réflexion sur l’énergie et le climat au sein de l’organisation Power Shift Africa. Au cours d’une interview réalisée le 29 Août dernier dans la ville d’Athi River, au Kenya, il a bien voulu partager son expérience personnelle au sujet de la désinformation climatique. «Oui, j’ai personnellement vécu les effets de la désinformation sur le changement climatique par le passé », a-t-il fait savoir. Désireux de donner plus de détails, il a déclaré ceci : « je viens du Nord-Est du Kenya, une région sujette à des événements météorologiques extrêmes. Quand nous étions jeunes, on nous faisait souvent croire que les conséquences du changement climatique que nous subissions étaient de simples incidents, des catastrophes naturelles ou des actes de Dieu. ». Il souligne que cette situation s’explique par le fait que « notre communauté n’était pas suffisamment sensibilisée au phénomène climatique, y compris à la compréhension des émissions historiques des principaux pollueurs et de leur impact sur notre région ». C’est précisément ce manque d’informations qui l’a incité à s’intéresser à la question du changement climatique et plus tard à œuvrer pour l’adaptation des peuples du Kenya en particulier, et du continent africain en général.

Barrer la voix à la désinformation climatique 

À la lumière de ce qui précède, il est crucial de reconnaître que la désinformation concernant le changement climatique est une réalité qui ne va pas sans de graves conséquences. Au Cameroun et ailleurs, il est impératif de poursuivre l’éducation des masses. A cet effet, il devient primordial de redoubler d’efforts pour faire entendre la voix de la vérité, en « amplifiant celle des experts africains souvent négligés », a souligné Philip Osano, directeur du Centre de l’Institut de l’Environnement de Stockholm (SEI), lors d’un entretien téléphonique dans la matinée du 04 mars 2023.

William Tadum T

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