L’usage des réseaux sociaux dans la sensibilisation à l’inscription sur les listes électorales au Cameroun 

La présidentielle de 2025 au Cameroun s’annonce comme une échéance historique pour le pays au regard des enjeux sociaux et politiques. Elle entraîne une forte polarisation politique et des attentes sociétales élevées. En préparation à cet événement, les campagnes d’inscription sur les listes électorales ont été closes dans un climat de très forte médiatisation en août dernier. À l’ère du numérique, les réseaux sociaux ont énormément été mis à contribution en tant que canal idéal pour atteindre les électeurs potentiels et les inciter à s’inscrire. Les acteurs de la société civile, les partis et personnalités politiques voire des internautes lambdas y sont allés de leurs messages de sensibilisation. Par ailleurs, certaines informations non vérifiées, des discours de haine et les manipulations numériques sont nées dans ce contexte préélectoral de tous les enjeux. Dans cette optique, on a vu Elecam effectuer des démentis, après certaines accusations dont il a fait l’objet. Ce rapport vise donc à fournir un état des lieux détaillé de l’utilisation des réseaux sociaux lors des campagnes d’inscription et des différents discours qui ont prévalu dans les différents camps engagés dans les débats autour de cette élection présidentielle prévue en octobre 2025.

Depuis des années, on reproche toujours aux Camerounais une faible participation aux élections. En 2018 par exemple, seulement 53,85% des inscrits avaient effectivement pris part au scrutin. À l’approche de la prochaine présidentielle, une forte mobilisation digitale a été observée dans le but d’inciter les citoyens à constituer leurs cartes d’électeurs. Ces campagnes de sensibilisation ont vu la contribution de tous types d’internautes : les personnalités politiques, les citoyens ordinaires, les blogs et autres médias en ligne, notamment à l’approche de la première clôture des inscriptions le 31 août 2024 par Elecam. 

Les personnalités politiques au coeur des débats d’inscriptions sur les listes électorales : le cas de Maurice Kamto et Cabral Libii

Au cours de cette année 2024, les leaders du MRC et du PCRN ont tenu de nombreux discours concernant l’inscription sur les listes électorales. Ces discours sont tantôt de l’ordre de la sensibilisation des citoyens, tantôt des dénonciations de fraudes ou des mises en garde. À titre d’exemple, Cabral Libii a invité le 2 octobre 2024 à travers son compte Facebook, les Camerounais à s’inscrire de nouveau sur les listes électorales à partir de janvier 2025, car celles-ci seront réouvertes jusqu’à la convocation du corps électoral. 

Outre des messages de sensibilisation comme celui susmentionné, le candidat arrivé 3e à la l’élection présidentielle de 2018 a aussi dénoncé certains agissements d’ELECAM qu’il juge irréguliers. Le 30 avril 2024 dans un message sur X (anciennement Twitter), il condamne les demandes indues de certains documents pour l’inscription des Camerounais dans la diaspora. 

Maurice Kamto s’est aussi engagé en faveur d’une inscription massive des Camerounais sur les listes électorales grâce à une mobilisation digitale. Plusieurs publications nous ont permis de faire ce constat. Le 13 mai 2024, un post de Cameroon Tribune  rend compte d’une conférence de presse du leader du MRC qui s’est tenue au quartier Odza à Yaoundé. Selon la page Facebook du quotidien national bilingue, Maurice Kamto a exhorté ses militants à acquérir leurs cartes d’électeurs. 

Par ailleurs, l’enseignant de droit s’est aussi illustré à travers des sorties qui exposent des manquements observés chez Elecam. Le 22 octobre 2024, il écrit sur Facebook, un texte intitulé : “Déclaration sur les fraudes à la publication des listes électorales provisoires”. L’homme politique relève que l’organe chargé des élections n’a toujours pas publié les listes des antennes communales comme l’avait, selon lui, assuré le directeur général des élections Erik Essousse. 

Face à la presse le jeudi 12 septembre 2024, au cours d’une conférence donnée à Yaoundé, Maurice Kamto a condamné une « une stratégie qui vise à maintenir le plus bas possible, le nombre des inscrits de la diaspora ». Le discours de l’homme politique durant cette conférence de presse a été abondamment partagé sur la toile. Le Bled Parle, une page Facebook suivi par 498 mille followers et Naja TV, une Web TV qui compte 147 mille internautes font partie de ceux ayant repris cette information. 

Leaders de la sociétés civile, artistes,  blogueurs, simples internautes 

Les messages autour des inscriptions sur les listes électorales sur les réseaux sociaux au Cameroun ne sont pas l’apanage des politiciens. Au cours des investigations menées dans le cadre de ce Social Media Health Report, nous avons constaté que d’autres profils d’internautes sont très engagés dans cette sensibilisation. En premier lieu, nous pouvons évoquer Abdouraman Hamadou Baba, dans une publication réalisée sur sa page Facebook suivie par 42 mille personnes le 25 octobre 2024, le leader d’opinion a écrit un texte sur Elecam, qu’il accuse de ne pas respecter la loi en rendant disponible le fichier électoral. Ce dernier fait par ailleurs savoir qu’il a engagé une procédure à l’encontre de l’organe chargé des élections. Selon ses dires, le procès l’opposant à Erik Essousse, le directeur général d’Elecam, a été renvoyé au jeudi 31 octobre de cette même année par le tribunal de grande instance du Mfoundi. 

Certains artistes se sont aussi montrés impliqués dans les discours d’invite de leurs compatriotes à s’inscrire sur les listes électorales. Kareyce Fotso a aussi, à travers un post datant du 17 avril 2024, appelé à une mobilisation citoyenne avant la clôture prévue un jour au mois d’août. “Elecam ferme les inscriptions sur les listes électorales en août 2024. Inscris toi rapidement avec ta cni ou ton récépissé”, lit-on dans un texte laconique de la chanteuse sur Facebook, lequel a généré des milliers de réactions. 

Les simples internautes via leurs comptes personnels ou à travers les publications dans les groupes, y vont aussi de leurs messages autour de la question de l’inscription sur les listes électorales. Cela dit, on a pu observer des messages de sensibilisation sur ce sujet en fonction de l’actualité. À titre d’exemple, lorsqu’une campagne d’inscription était annoncée dans un quartier, certains internautes prenaient sur eux de relayer l’information pour toucher un plus large public. C’est par exemple le cas de cette publication, annonçant le passage des agents d’Elecam au quartier Mimboman à Yaoundé le 10 mai 2023. 

Les messages des internautes vont au-delà des inscriptions. Depuis l’annonce de la publication des listes des inscrits dans les différentes antennes communales par Elecam, une autre sensibilisation consiste à demander aux Camerounais d’aller confirmer la présence effective de leur nom dans ces listes. Le 26 octobre, le profil d’un nommé Laure Noutchang, lance une mobilisation dans ce sens : “Tous à Elecam pour vérifier notre inscription avant le 10 novembre!”, écrit-il. 

Le TGV de l’info, une page Facebook qui cumule 329 mille abonnés, s’est aussi investi dans la même mobilisation. Comme on peut dans différentes publications, elle a publié des annonces sur les campagnes ponctuelles d’enregistrement d’Elecam dans certains quartiers des villes camerounaises. 

Réactions d’Elecam, de l’Etat et d’autres institutions publiques 

La pluralité des discours autour des inscriptions sur les listes électorales au Cameroun, inclut également les sorties d’Elecam, de l’Etat du Cameroun au travers de ministère de l’Administration territoire ou encore de la CRTV, la chaîne nationale à capitaux publics. 

Pour faire face aux accusations de fraudes dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux, Elecam a pris sur lui d’utiliser également ses plateformes numériques pour communiquer sur ses activités autour de l’enrôlement des Camerounais sur les listes électorales. En s’intéressant de près à ses publications sur le sujet, on constate des sorties régulières ces derniers mois. A titre d’exemple, le 23 octobre 2024, l’institution effectué un point de presse faisant état de l’ensemble du déroulement du processus au cours de cette année.

De même, nous pouvons lire en date du 21 octobre, l’information indiquant que les listes des inscrits sont disponibles dans les différentes antennes communales. 

Plus en arrière dans le calendrier, il est loisible de découvrir que la page Facebook d’Elecam a régulièrement donné le poul des procédures d’enrôlement à travers le pays, informant même sur les différents lieux où les Camerounais doivent se rendre pour établir leurs cartes. Bien que la part belle soit faite aux grandes villes, on peut observer dans cette publication du 31 août 2024, un cliché d’une séance d’inscription se déroulant à Ngomedzap, un arrondissement du département du Nyong-et-So’o. 

Comme Elecam, CRTV Web et Crtv Info ont aussi publié des photos des citoyens en plein enrôlement, pour signifier l’engouement qui a prévalu au cours des derniers jours d’inscription. Sur les captures d’écran qui suivent, on peut aisément percevoir les Camerounais alignés dans un poste d’enrôlement des antennes communales Yaoundé 1 et de Yaoundé 5. 

Les nombreuses sensibilisations aux inscriptions sur les listes électorales ont également fait réagir l’Etat du Cameroun, en l’occurrence le ministère de l’Administration territoriale. Paul Atanga Nji dans un communiqué publié le 2 mai 2024, a rappelé que l’enrôlement des citoyens sur le fichier électoral était l’apanage d’Elecam. Le Minat a ajouté que l’inscription n’était pas une obligation et a mis “en garde les hommes politiques véreux contre toute tentative de manipulation pernicieuse de l’opinion publique tendant à faire de l’inscription sur les listes électorales une surenchère politique ou un facteur de perturbation de la tranquillité des citoyens”, relève le communiqué du Minat. 

La sortie de Paul Atanga Nji n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux. Alors que certains internautes y voient une volonté de couper l’élan de mobilisation engagée par les Camerounais, d’autres ont trouvé que cette mise en garde pourrait plutôt inciter davantage les Camerounais à s’inscrire sur les listes électorales. C’est ce que pense par exemple l’analyste politique Moussa Njoya sur sa page Facebook le 4 mai 2024 comme l’atteste cette capture d’écran.

Discours sur les inscriptions sur les listes électorales : dérives et informations non vérifiées

Les messages publiés sur les réseaux sociaux pour sensibiliser les Camerounais à s’inscrire sur les réseaux sociaux ont parfois laissé libre cours à la circulation des posts de provocation et des informations non vérifiées. On peut dans ce régistre, noter celle de Joseph Emmanuel Ateba le 5 mai 2024. L’internaute indique qu’Elecam et le ministre Atanga Nji auraient peur des enrôlements sur les listes électorales. 

De même, on relève aussi la publication d’une information non vérifiée le 12 septembre 2024 par Darling Nguevo. Selon celui-ci, “De 2019 à 2023, aucune inscription en diaspora” mais le nombre d’inscrits a baissé”, peut-on lire. 

Dans le même sillage, un post du groupe les “Progressistes du MRC” partagé sur Facebook le 24 octobre 2024 prête à l’Elecam, l’intention d’annuler tous les votes.

En rappel, Elecam dans un communiqué rendu public le 29 avril, avait rappelé les conditions d’établissement d’une carte d’électeur pour les Camerounais expatriés conformément à l’article 272 du code électoral : avoir un passeport camerounais, une carte consulaire et une carte de séjour. 

Par ailleurs, Elecam a rendu public les chiffres non toilettés des inscrits sur les listes électorales. Dans ces statistiques, on note 8 830 nouveaux électeurs dans la diaspora en 2024. Ces données viennent battre en brèche les informations selon lesquelles, des nouvelles inscriptions hors du Cameroun n’ont pas eu lieu. 

Conclusion 

Ce rapport  révèle que les réseaux sociaux sont devenus des outils essentiels pour la mobilisation autour des inscriptions sur les listes électorales au Cameroun, notamment à l’approche de la présidentielle de 2025. Nos investigations à travers les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont permis de ressortir l’engagement de divers acteurs, personnalités politiques, leaders d’opinion ayant participé participé par des messages ou commentaires, à une sensibilisation en ligne, ou simplement réagi autour de ce sujet. 

Au demeurant, il nous été donné de constater que la sensibilisation politique des citoyens sur l’importance de participer au vote en s’inscrivant massivement sur le fichier électoral, est néanmoins émaillée de discours de provocation voire de désinformation. Pour y remédier, l’organe chargé des élections au Cameroun multiplie les publications des ces activités, des démentis, visant à faire circuler l’information officielle auprès du public. 

Recommandations

Dans l’optique de crédibiliser les discours concernant les questions électorales sur la toile au Cameroun, plusieurs actions peuvent être menées par les acteurs. Primo, le renforcement de la communication officielle par Elecam, qui pourrait intensifier ses publications factuelles pour contrecarrer les rumeurs et assurer la transparence. La sensibilisation ciblée est aussi un moyen de toucher un plus large public. Il peut consister par exemple à solliciter les influenceurs locaux et les communautés pour sensibiliser des groupes sous-représentés, notamment en zones rurales.

Une autre stratégie peut être la surveillance proactive des plateformes. En effet, instaurer une veille numérique pour identifier et rectifier rapidement les messages inadéquats pourrait servir à identifier promptement les dérives dans les réseaux sociaux.

In fine, l’éducation numérique peut jouer un grand rôle dans la lutte contre l’utilisation irresponsable des réseaux sociaux. En ce qui concerne le Cameroun, il peut être judicieux d’apprendre aux électeurs à mieux discerner les sources fiables en ligne et à éviter de partager toutes les informations reçues.

Par Cédric MIMFOUMOU ZAMBO

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