La tribalisation des faits sociaux sur Facebook au Cameroun

Introduction

Depuis le déclenchement de la crise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest en 2016 et la dernière élection présidentielle de 2018 suivi de la crise sanitaire de 2020, les réseaux sociaux au Cameroun sont utilisés comme moyen de prolifération des propos tribalistes et stigmatisants comme l’atteste les captures d’écrans suivants.

Depuis lors, il ne se passe pas un jour sans qu’on ne remarque dans un groupe sur Facebook des propos comme << Babana >> << Bamilékong >> << les nkwa >> << les mangeurs de savon>> …. etc. En effet, dans son livre Identity: The Demand for Dignity and the Politics of Resentment, Francis Fukuyama, la tribalisation est « le processus par lequel les sociétés se divisent en groupes plus petits, souvent sur la base de l’identité, de la religion ou des valeurs. Ces groupes peuvent être fondés sur des différences réelles ou perçues, et ils peuvent être sources de tensions et de conflits ». Francis Fukuyama définit la tribalisation comme un processus, ce qui signifie qu’elle n’est pas un événement ponctuel, mais plutôt un phénomène qui se déroule sur le temps. Il souligne également que la tribalisation peut être basée sur une variété de facteurs, y compris l’identité, la religion et les valeurs.

D’après Francis Fukuyama, la tribalisation des faits sociaux est un processus qui peut se produire à différents niveaux, de l’individuel au collectif. Au niveau individuel, elle peut se manifester par une tendance à voir le monde à travers le prisme de son propre groupe d’appartenance. Au niveau collectif, elle peut se manifester par une tendance à voir les autres groupes comme des “tribus” distinctes et hostiles. Ce rapport propose ainsi d’examiner les dynamiques pouvant rendre compte de la forte tribalisation des faits sur les réseaux sociaux au Cameroun.

Corps

L’analyse menée met l’accent d’une part sur les dynamiques qui structurent la tribalisation des faits sociaux au Cameroun via les mots et expressions employés dans des contenus partagés en ligne, d’autre part, nous avons identifié quelques acteurs qui animent la tribalisation des faits sociaux, De cet analyse, une conclusion et des recommandations sont faites pour lutter contre cette façon de faire en ligne qui est crisogène et conflictogène.

  • Les dynamiques de la tribalisation des faits sur les réseaux sociaux au Cameroun

Avec la sortie du Ministre du commerce Luc Magloire Mbarga Atangana dénonçant l’utilisation du Formol pour le mûrissement des aliments comme les fruits, légumes, féculents et autres, des publications attribuant cette pratique aux Bamilékés (peuple de grassfield vivant dans l’ouest du Cameroun très ancré dans le commerce) ont inondées la plateforme Facebook. Le fait que le ministre a mentionné << les commerçants>> dans sa note, a amené certains individus aux profils divers et variés a jeté l’opprobre sur les Bamilékés. À titre illustratif, dans une publication, l’internaute Francis Mbeng Journal dont les publications sur Facebook ciblent régulièrement les Bamilékés, il accusaient ceux ci d’organiser un génocide alimentaire. Quelques jours plus tard, notamment le 25 août 2023, il revient à la charge en présentant deux bidons sur lesquels sont estampillé formol comme étant l’arme secrète du commerçant bamiléké des marchés

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Les agissements des acteurs aux profils divers et variés sur les réseaux sociaux, laissent présager qu’elle pourrait conduire à un affrontement éthique. L’actualité autour du décès de Samy Lenwr, photographe de la femme d’affaires Carimo, a également donné lieu à la stigmatisation de l’ethnie de cette femme que beaucoup à l’instar de Francis Mbeng Journal, accuse d’avoir vendu Samy Lenwr au Famla. Ce dernier dans son acharnement contre les Bamilékés, déclare clairement que le village, c’est-à-dire d’autres Bamilékés se mobilisent pour protéger Carimo.

  • Mots et expressions utilisés

Ces dernières semaines et à travers la netnographie, l’appellation Bamiléké et ses dérivés (Bamiphobie, Bamiland,le poison bami, formol bamileké, le cœur du bami, la porcherieetc.) sont abondamment utilisé sur le réseau social Facebook pour stigmatiser les Bamilékés ainsi que les adeptes de l’utilisation du formol sur les denrées alimentaires. Les Bamilékés se positionnent ainsi comme l’ethnie la plus ciblée dans la tribalisation des faits sociaux. En dehors des bamilékés, nous avons l’ethnie bulu que certains internautes accusent d’être à l’origine de la situation précaire du pays. C’est ainsi que les publications traitant les Bulu de génocidaire pullulent aussi sur la toile.

  • Profils des acteurs de la tribalisation sur Facebook

Les profils des auteurs de la tribalisation des faits sur le réseau social Facebook sont divers et variés. Le monitoring de Facebook durant ces derniers mois a permis d’identifier les comptes suivants comme étant des chantres de cette pratique en ligne. Parmi les comptes les plus portés sur cette pratique, nous avons Francis Mbeng journal dont la page a été créé le 28 février 2019 et suivi par plus de 10 000 followers. Il se présente sur son compte comme un patriote engagé contre le tribalisme, l’ethnofascisme et le sécessionnisme, et s’illustre depuis plusieurs années par des publications tribalistes. De par les données collectées, les Bamilékés constituent sa cible principale. Patrice Nganang se positionne aussi sur les réseaux sociaux comme une figure de la stigmatisation des Bulu. Dans cette publication par exemple, il déclare que le Cameroun sous les bulu (peuple originaire de la région du sud Cameroun dans le département de la Mvila) est l’enfer sur terre pour les bamilékés et les anglophones. Celui qui se fait appeler le Concierge de la république s’est lancé depuis plusieurs années dans la tribalisation des fléaux qui s’illustre via des publications sur sa page Facebook. Sur chaque publication, il n’hésite pas à désigner les Bulu comme les principaux responsables de la situation du Cameroun.

Les groupes tels que Parle que Beti, ainsi que Cameroun one Cameroon, sont la représentation exacte des propos tribalistes. À titre illustratif, Francis Mbeng journal disait encore dernièrement : << l’arme secrète du commerçant Bamiléké des marchés>> ceci en présentant des bouteilles de formol.

Ou encore Patrice Nganang qui appelle explicitement à l’écrasement de l’ethnie bulu. À travers ce monitoring, il se dégage que les auteurs de la tribalisation des faits en ligne se regroupent dans toutes les sphères de la vie sociale. Parmi ces acteurs, nous avons les intellectuels, les politiques, les opérateurs économiques, des suiveurs actifs c’est-à-dire des acteurs qui partagent des contenus de toute sorte en ligne.

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Certains termes utilisés sur Facebook à l’instar de Bamiland,le poison bami, formol bamileké etc. pourraient sécréter et alimenter la haine et la violence au Cameroun. Nous le constatons déjà, certaines personnes ne supportent pas qu’on les appelle << Bamilékés>> qu’ils le soient ou non. Pour injurier, d’autres disent : << regarde-moi le Bamilékés ci >>. Les propos utilisés par des personnes qui utilisent des faux comptes ou leurs comptes personnels ouvrent la porte à de nouveaux termes tels : << Bamiphobie, Bamiland>>. Puisque les utilisateurs des médias sociaux utilisent des nouveaux mots pour convenir à leurs cibles en ligne, il devient de plus en plus préoccupant lorsque cette cible-là partage ses publications. Face à cela, il faut donc que les précautions soient prises.

Conclusion

À travers le monitoring du réseau social Facebook entre juin et septembre 2023, il ressort clairement que la tribalisation des faits sur les réseaux sociaux gagne de plus en plus en intensité au Cameroun. Les affaires liées au décès du photographe professionnel Samy Lenwr, ainsi que de l’utilisation du formol sur les denrées alimentaires et d’autres faits, éclairent parfaitement cette réalité. Après plusieurs semaines d’observation netnographique, nous pouvons conclure que les propos utilisés actuellement sur les réseaux sociaux sont préoccupants. Les publications et les commentaires armés de discours de haine pourraient progressivement conduire à un conflit dans la société. Des comptes sont ouverts pour inciter les populations à haïrles autres (le Bamilékés ou le Bulu) en les présentant comme les auteurs de la situation actuelle du Cameroun. C’est le cas des comptes que nous avons notifiés plus haut.

Recommandations

À la suite de cette collecte effectuée depuis le mois de juin jusqu’à septembre 2023 sur le réseau Facebook, nous recommandons vivement à Meta d’intégrer les expressions et les mots utilisés pour la tribalisation des faits sociaux au Cameroun dans le lexique comme étant des expressions porteuses de haine afin de permettre à ses algorithmes d’intercepter les publications utilisant ces expressions. Nous recommandons vivement à Facebook de poser un regard attentif sur les profils douteux qui s’illustrent dans la tribalisation des faits sociaux au Cameroun. Avec les échéances électorales de 2025, des actions de sensibilisations doivent être menées sur le terrain par le gouvernement et les organisations de la société civile afin de montrer les dangers de la tribalisation des faits sociaux en ligne au Cameroun. Le gouvernement doit également appliquer la loi sur l’outrage à la tribu afin de dissuader les individus qui seront tenté de tenir des propos tribalisants en ligne. Les internautes doivent savoir qu’en partageant et/ou en partageant des contenus préjudiciables en ligne, ils peuvent contribuer à la détérioration de la paix et de la stabilité du Cameroun. Les initiatives suivantes peuvent limiter la prolifération des propos stigmatisant en ligne : blocage des comptes, suppression des publications dangereuses, la désactivation temporaire voire définitive de certains comptes, pages et groupes.

Rapport rédigé par Rachel Léa Djeunga et Arouna Pountougnigni Mfenjou

Boursiers AFFCameroon, 8e cohorte

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