PARTIELLEMENT VRAI ! Les boissons énergisantes présentent des risques sur la santé !

Contexte

Le 10 novembre 2024, une publication sur X (anciennement Twitter) du Dr Albert Zé L’économiste de la santé a déclaré que les boissons énergisantes au Cameroun étaient responsables de l’hypertension, des maladies rénales et d’autres maux. Ce message alarmant a été partagé à plus de 200 reprises et a suscité de nombreuses réactions. Toutefois, ces allégations sont-elles fondées ? Nous avons mené l’enquête pour vous aider à y voir plus clair.

Pour soutenir ses propos sur les boissons énergisantes, Albert Zé met en avant la présence de substances telles que la caféine, la taurine et la glucuronolactone, qu’il accuse d’être à l’origine de nombreux problèmes de santé dont la tachycardie, les convulsions et autres troubles du comportement. 

“Les boissons énergisantes : la mort entre nos mains. De nos jours, l’hypertension et ses complications font rage dans notre société. Nous sommes pratiquement à environ 50% de la population qui en souffre. Le nombre de personnes avec des insuffisances rénales ne fait qu’augmenter sous nos yeux….Nous sommes plongés dans un désordre nutritionnel sans précédent. On remarque aujourd’hui des gens qui ont pour “goût”, les boissons énergisantes. Cet effet ‘mode’ n’est pas sans danger pour les jeunes consommateurs. En effet, de nombreuses études ont mis en évidence plusieurs effets secondaires. Ces boissons énergétiques contiennent de la caféine, taurine, du sucre sous forme de glucuronolactone, des vitamines et des édulcorants.

Les effets secondaires mis en évidence sont :

  • Convulsions;
  • Tachycardie, troubles du rythme cardiaque;
  • Hypertension artérielle;
  • Diabète;
  • Troubles du sommeil;
  • Troubles du comportement et de l’humeur : conduite agressive, violence, irritabilité, hallucinations…”, écrit-il.

Dans les commentaires, un internaute déclare se reconnaître dans ces effets secondaires listés par l’auteur de la publication. 

“Merci doct bon dimanche. Je peux personnellement confirmer certains de ces effets car j’en consommais beaucoup quand j’étais en cabinet d’expertise comptable pour supporter la pression et la charge de travail mais aujourd’hui j’ai arrêté”, confie-t-il en commentaire, preuve que l’avis d’Albert Zé rencontre des adhérents.

Méthodologie

Pour vérifier la véracité de ces affirmations, nous avons premièrement consulté le Dr Albert Zé, l’auteur de la publication concernée par le présent sujet de fact-checking. Selon ses dires, son analyse a pour source, les rapports existants des laboratoires scientifiques au sujet des boissons énergisantes et qui sont disponibles sur Internet. En effet, notre investigation nous a permis de prendre connaissance des études scientifiques publiées par des institutions telles que l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec). Nous avons par ailleurs eu recours à une étude menée au Cameroun sur la consommation de ces breuvages en milieu estudiantin. Enfin, nous avons interrogé des experts en néphrologie et en pharmacie pour compléter notre enquête. 

Les boissons énergisantes : un cocktail multicomposé

Selon l’INSPQ, les BE (boissons énergisantes) désignent “tout produit se présentant sous la forme d’une boisson ou d’un concentré liquide et qui prétend contenir un mélange d’ingrédients ayant la propriété de rehausser le niveau d’énergie et de  vivacité”. Elles sont donc de ce fait, des mélanges complexes de substances aux effets stimulants. La caféine, la plus connue, agit sur le système nerveux central en bloquant les récepteurs à l’adénosine, un neurotransmetteur induisant le sommeil. La taurine, souvent associée à la caféine, est censée améliorer la performance physique et mentale. D’autres ingrédients comme la glucuronolactone et les vitamines du groupe B complètent la formule de ces boissons selon l’institut de recherche canadien supra-évoqué.

En prenant exemple sur la marque Reaktor, une boisson énergisante parmi les plus populaires au Cameroun, nous avons pu ressortir les mêmes ingrédients évoqués par l’INSPQ dans la liste des éléments à base de sa fabrication. 

La constitution de cette boisson énergisante commercialisée au Cameroun et dans d’autres pays d’Afrique, révèle la présence de deux substances (Inositol et taurine) dont la toxicité a déjà fait l’objet d’une étude sur un breuvage similaire en France par l’Anses  : Avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à l’évaluation des risques liés à la consommation d’une boisson présentée comme « énergisante » additionnée de substances autres qu’additifs technologiques : taurine, D-glucuronolactone, inositol, vitamines B2, B3, B5, B6 et B12.

En se référant à ce document, l’on apprend que suite à des analyses, “la commercialisation du produit n’est pas autorisée en France à la suite d’un avis défavorable rendu par le Conseil supérieur d’hygiène public de France (CSHPF) le 10 septembre 1996”.  En effet, l’évaluation menée par le Scientific Committee on Food en 1999, a affirmé qu’il est impossible d’assurer avec certitude que les teneurs de taurine et de D-glucuronolactone relevées dans le produit ne présentent aucun risque pour la santé. 

Bien que les analyses ne permettaient pas de se prononcer sur l’innocuité de la taurine et de la D-glucuronolactone aux doses préconisées ; elles apportaient a contrario des éléments de suspicion de toxicité rénale pour la D-glucuronolactone et d’effets neuro-comportementaux indésirables de la taurine, présente dans le reaktor comme sus-évoqué.

Pour ce qui est des vitamines B2, B3, B5, B6 et B12, l’étude conclut qu’il est sans intérêt nutritionnel de proposer des doses élevées de ces vitamines à des sujets en situation d’activité physique ou mentale intense. La caféine quant à elle, souligne le document, peut lorsqu’elle est consommée à forte dose, provoquer une aggravation des syndromes maniaco-dépressifs saisonniers. 

La conclusion de l’évaluation se veut néanmoins plus nuancée : si les études transmises par le pétitionnaire ne permettent pas, en elles-même, d’apporter la démonstration irréfutable d’un risque avéré lié à la consommation de la boisson visée, celles-ci ne permettent pas non plus de recommander que ce produit soit remis à la consommation en l’état actuel. 

Les effets sur la santé : entre réalités et limites

Les études scientifiques mobilisées supra, montrent que la consommation excessive de boissons énergisantes peut entraîner divers effets indésirables. Parmi les plus fréquents, on retrouve :

  • Des troubles cardiovasculaires : l’accélération du rythme cardiaque, les arythmies et une augmentation de la tension artérielle sont des effets indésirables bien documentés. Une méta-analyse récente a montré que la consommation aiguë de boissons énergisantes pourrait entraîner une augmentation transitoire de la pression artérielle.
  • Des troubles du système nerveux central : la caféine, en stimulant le système nerveux central, peut provoquer des troubles du sommeil, de l’anxiété et de l’irritabilité. Dans certains cas, elle peut également favoriser des comportements à risque.
  • D’autres effets indésirables : la déshydratation, des troubles digestifs et des interactions médicamenteuses sont également possibles, notamment en cas de consommation excessive ou associée à d’autres substances.

Du reste, il convient de noter que l’existence d’une corrélation entre les boissons énergisantes et certains troubles de la santé n’impliquent pas un lien de causalité direct. L’étude de l’INSPQ met en avant d’autres facteurs, comme le mode de vie global (alimentation, sommeil, activité physique) ou des prédispositions génétiques, qui peuvent influencer l’apparition de ces problèmes.

Aussi, convient-il d’ajouter en s’appuyant sur les travaux de l’INSPQ, que les effets des boissons énergisantes peuvent varier en fonction de nombreux facteurs : âge, sexe, état de santé, quantité consommée, etc. Généraliser les résultats d’études à l’ensemble de la population sans tenir compte de ces nuances peut être trompeur.

Les adolescents, les femmes enceintes et allaitantes, ainsi que les personnes souffrant de problèmes cardiaques sont particulièrement vulnérables aux effets indésirables des boissons énergisantes. Leur consommation excessive peut ainsi aggraver des pathologies existantes et augmenter le risque de complications selon l’Anses. Elle précise par ailleurs que leur consommation, en association avec de l’alcool, est déconseillée et elles doivent être consommées avec modération et ne sont pas adaptées à la pratique d’une activité physique intense, contrairement au discours marketing que les différentes marques peuvent faire passer.

Etude camerounaise et avis des experts 

Les études camerounaises sur les breuvages dit énergisants sont certes rares, mais pas inexistantes. En 2020, Bernadette Nathalie Ngono Eteme Melingui a commis un article scientifique intitulé : “Les prédicteurs de la consommation des boissons énergisantes par les étudiants” publié dans la Revue Internationale de Gestion que nous avons retrouvé via le portail académique Google Scholar. Cette étude quantitative réalisée auprès de 403 jeunes de l’université de Ngaoundéré, ne s’est guère limitée aux effets des boissons énergisantes sur la santé que nous avons déjà largement démontré dans ce travail. Elle s’est surtout appesantie sur les raisons de la consommation de ces produits, notamment chez les étudiants. 

Selon cette recherche, la principale motivation de consommation des boissons énergisantes chez les étudiants est la recherche d’un gain d’énergie (48,6%). 43,9% d’adolescents affirment que ces produits leur procurent une sensation de plaisir.  37,2% en boivent pour améliorer leur performance sportive alors que 35,5% recherchent la performance sexuelle. 20,3% en ingèrent pour rester longtemps en éveil et étudier. Pour mieux illustrer ces données, nous avons généré le graphique ci-après à l’aide du logiciel Flourish.

Graphique des motivations des consommateurs des BE, créé à partir de l’étude de Bernadette Nathalie Ngono Eteme Melingui

Pour ce qui est des motifs de non consommation, on note dans les résultats de l’étude que certains consommateurs affirment avoir déjà fait face à des effets secondaires des boissons énergisantes et ont décidé pour cette raison, de ne plus en prendre. 

Risques des boissons énergisantes : regards croisés d’un néphrologue et d’un pharmacien

Pour davantage appuyer notre processus de vérification sur les risques des boissons énergisantes, il nous a semblé opportun d’échanger avec deux experts du secteur de la santé : un néphrologue et un pharmacien. Le néphrologue, Dr Arnaud Kamguia, consulte chaque jeudi à l’hôpital de district de la Cité Vert à Yaoundé où il nous a reçu le 5 décembre 2024. Pour lui, “les boissons énergisantes ont des effets multiples sur les différents systèmes et appareils du corps”. Pour le cas spécifique des reins, l’expert indique que les BE ont principalement “un effet diurétique, c’est-à-dire qu’elles favorisent une production excessive d’urine. Le risque c’est justement d’entraîner une déshydratation, or la déshydratation n’est pas bonne pour le rein. Elle peut entraîner des dommages temporaires qui, s’ ils ne sont pas traités, peuvent devenir irréversibles”, ajoute Dr Kamguia. 

Par ailleurs, précise le néphrologue, la présence des éléments comme la taurine et la caféine dans les BE, peut “altérer la fonction rénale dans la mesure où ces derniers provoquent l’augmentation de la pression artérielle du fait de l’action sur le débit cardiaque”. 

Pharmacien spécialisé en pharmacie clinique, Dr Christian Zang est en stage au CHU de Yaoundé. Il a également répondu à nos préoccupations sur l’action des constituants des boissons énergisantes dans l’organisme humain lors d’un entretien que nous avons eu le 08 décembre 2024 au quartier Melen à Yaoundé. “Effectivement la consommation de ces boissons n’est pas sans risque. Les risques sur le cœur et le système nerveux sont encourus. Il est à noter que certains effets indésirables et connus, provoqués par certains produits sont parfois désirés par certains consommateurs. Il est donc important de contrôler et de continuer à sensibiliser les populations”, indique-t-il.

L’expert des questions pharmacologiques, analyse ensuite chacun des principaux éléments qu’on retrouve dans les BE au Cameroun. “Le sucre à long terme est un facteur de diabète. La caféine est un stimulant naturel du système nerveux, il peut provoquer l’insomnie chez des personnes hypertendues. Chez les individus avec facteurs d’insuffisance cardiaque, on a risque de vasoconstriction et donc aggravation des facteurs. La Taurine bien qu’étant un acide aminé supposé produire d’autres effets comme l’absorption des matières graisses et la maturation du système nerveux central, est également présente dans les boissons énergisantes pour un effet stimulant et une potentialisation de l’effet de la caféine”, développe Dr Zang.

En guise de recommandation, le pharmacien clinique estime qu’il “serait  important d’autoriser la délivrance des boissons énergétiques après un contrôle médical, de connaître son statut, de limiter le surdosage par une consommation excessive ainsi que la fréquence” car rappelle-t-il, les risques deviennent plus importants quand la consommation est régulière.

Le verdict

Si les boissons énergisantes ne sont pas systématiquement dangereuses, il est clair que leur consommation excessive et la présence de certains additifs qu’on y met, peuvent entraîner de sérieux problèmes de santé. De ce fait, les allégations d’Albert Zé ne sont donc pas infondées. Les études scientifiques et les experts soutiennent que ces boissons, consommées de façon régulière, sont à l’origine de différents types de maux. Cependant, les études scientifiques et les experts refusent de se montrer péremptoires sur les conséquences qui peuvent varier selon les prédispositions et les antécédents médicaux de chaque sujet. 

Cela dit, les autorités sanitaires de concert avec celles en charge des questions de normes et de qualité (Anor), devraient également envisager de renforcer la réglementation sur la composition et l’étiquetage de ces produits. Dans l’optique d’avoir les éléments précis concernant le contrôle qualité des boissons énergisantes commercialisées au Cameroun, nous avons pris contact avec l’Anor qui n’a pas pour l’instant, daigné nous fournir de réponse concernant les opérations de vérification de conformité des boissons énergisantes qui circulent sur le marché camerounais. Le présent article est publié en attendant une éventuelle réponse de leur part.

Pour conclure au sujet de la publication d’Albert Zé, objet du présent travail de fact checking, il convient de noter in fine, que les boissons énergisantes ne sont pas la cause unique et directe de l’augmentation des maladies évoquées dans son post. Cependant, leur consommation régulière peut devenir un facteur de risque pour celles-ci. Il est donc essentiel d’encourager les consommateurs à faire preuve de discernement et à privilégier une alimentation équilibrée doublée d’une activité physique régulière pour préserver leur santé. Quant aux BE, les consommer avec grande modération, voire les éviter complètement, surtout pour les personnes les plus vulnérables.

Par Cédric MIMFOUMOU ZAMBO, boursier Cohorte 10 AFF Cameroon

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