Introduction
S.E Paul BIYA, le Président de la République du Cameroun a regagné le pays le 21 octobre 2024 après plus d’un mois d’absence. Le Chef de l’Etat qui avait quitté le Cameroun le 2 septembre 2024 pour le quatrième sommet du Forum de coopération Chine-Afrique (4-6 septembre en Chine) avait été aperçu pour la dernière fois le 7 du même mois. Plusieurs semaines après, l’absence du président Paul Biya à plusieurs évènements sur la scène internationale a fait naître la spéculation selon laquelle il est mort. Une séquence vidéo de la télévision ABS Africa TV, une télévision pro sécessionniste émettant depuis Houston dans le Texas aux Etats-Unis est le point de départ de cette rumeur sur le décès du président camerounais sur les réseaux sociaux le lundi 7 octobre 2024. Comme une traînée de poudre, la nouvelle s’est répandue en ligne et dans en mainstream. Face à la viralité des commentaires autour du décès du président, certaines autorités camerounaises ont fait des démentis pour mettre fin à la polémique. Le 8 octobre, le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement René Emmanuel Sadi ainsi que le directeur du Cabinet civil, Samuel Mvondo Ayolo ont rendu public des communiqués rassurant que le Chef de l’Etat va bien et vaque à ses occupations à Genève. Le jour d’après, le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji est monté au créneau. Cette fois, le membre du gouvernement dans un communiqué, a interdit tout débat sur la santé du Chef de l’Etat non seulement dans les chaînes de télévisions mais aussi sur les réseaux sociaux.
Cette sortie est considérée par les professionnels des médias ainsi que par les acteurs politiques et de la société civile comme excessive. Ladite communication est interprétée par plus d’un comme une atteinte à leur droit fondamental et met en mal la liberté d’expression des Camerounais garantit pourtant par la constitution du pays. Les internautes se revendiquent le droit de savoir où se trouve leur dirigeant conformément au Décret N°2011/412 du 9 décembre 2011 portant réorganisation de la Présidence de la République. A cet effet, ils sentent leurs libertés menacées et restreintes face à la réaction du ministre de l’administration territoriale. Ce rapport analyse ainsi les réactions des internautes suite au communiqué du ministre chargé de l’administration territoriale et fait ressortir les entraves à la liberté d’expression garanties au préambule de la constitution du 18 janvier 1996.
Corps
Le président de la république est une institution nationale qui appartient à tous les camerounais. De ce fait, il est de bon ton que les citoyens s’inquiètent des conséquences que son absence non seulement à la Présidence de la République mais aussi à l’intérieur de son pays peut entraîner. Le communiqué signé du ministre de l’administration territoriale Paul Atanga Nji et rendu public le 9 octobre 2024, dans lequel il interdit tout débat dans les médias et les réseaux sociaux sur l’état du Président de la République est martial. Il y est martelé qu’aucun commentaire ou débat ne peut être cautionné de qui que ce soit dans les médias privés. Il instruit d’ailleurs aux Gouverneurs de régions de créer auprès de ses services compétents, des cellules de veille chargées de suivre et d’enregistrer toutes les émissions et débats dans les médias privés et d’identifier les auteurs des commentaires tendancieux, y compris ceux qui agissent à travers les réseaux sociaux dans le cas contraire les contrevenants devront faire face à la rigueur de la loi. (Communiqué du Minat)
Depuis lors, les internautes s’indignent sur la toile les uns après les autres. Facebook, X, Whatsapp, les internautes ne font l’économie d’aucune plateforme parmi les médias sociaux les plus utilisés au Cameroun pour exprimer leur choc et mécontentement. Dans les messages monitorés, ces derniers dénoncent le non-respect de la liberté d’expression garanti par la loi fondamentale. « Ce communiqué est en contradiction avec la loi fondamentale de notre pays à savoir la constitution, c’est une véritable atteinte à la liberté d’expression. Le président de la république est élu par les camerounais, ces mêmes camerounais ont le droit de se poser la question sur son état de santé, sa capacité à gouverner et aucune loi ne l’interdit. Nous sommes au 21e siècle et nous vivons dans une république et non dans une monarchie. Arrêtez de prendre des décisions aussi honteuses pour notre pays. » Souligne un internaute sous ledit communiqué publié sur la page officielle du Ministère de l’Administration Territoriale.
Maître Akere Muna a aussitôt réagi sur son compte X soulignant que la réaction du ministre de l’administration territoriale est en violation totale de la constitution et hors de la compétence de son ministère.
Dans cette même lancée, la journaliste Annie Payep n’est pas allée par quatre chemins pour dénoncer cette tentative d’intimidation. Réagissant au micro de la chaîne de télévision STV émettant depuis Douala au Cameroun et dont l’extrait vidéo a été publié sur son compte Facebook, la journaliste estime qu’ «interdire aux journalistes de parler de l’état de santé du Président est une atteinte grave au droit légitime à l’information. Parce que ce n’est pas un citoyen lambda. Plus encore si cet état peut affecter sa fonction présidentielle.» Avant de s’interroger sur l’avenir, «Demain on n’aura pas le droit de parler de quoi d’autre?»
D’autres internautes lui rappellent ses missions dans lesquelles il est très absent et qui nécessitent des réponses urgentes comme celles faites à la suite des rumeurs sur la toile. La présidente du parti politique Cameroon People’s party y figure. Dans sa sortie sous forme d’une lettre adressée au Ministre de l’administration territoriale le 13 octobre 2024, avec pour objet «Vous ne pouvez pas interdire à un Camerounais de s’exprimer sur n’importe quel sujet…», Kah Walla rappelle au ministre que «Dans l’ordre hiérarchique, nous, le Peuple, sommes le patron de votre patron. En aucun cas vous n’êtes censé nous insulter ou nous menacer dans l’exercice de vos fonctions officielles. (…) Vous travaillez pour nous..» La présidente du CPP n’a pas manqué dans sa lettre de rappeler au ministre Atanga Nji que “Le préambule de la Constitution du Cameroun stipule que « la liberté de communication, d’expression, de presse, de réunion, d’association et de syndicalisme, ainsi que le droit de grève sont garantis dans les conditions fixées par la loi”. La liberté d’expression est un droit constitutionnel ! Vous ne pouvez pas, en tant que Ministre de la République, interdire à un Camerounais de s’exprimer sur n’importe quel sujet, à moins qu’il n’existe une loi spécifique vous permettant de le faire. Votre directive du 9 octobre 2024 aux gouverneurs est donc illégale.»
Interrogé sur la problématique qui enflamme la toile et met la liberté d’expression des Camerounais à mal, maître Constantin Ondoua, avocat au Barreau du Cameroun explique qu’il faut d’abord savoir sur quoi portent les missions du ministre de l’administration territoriale. En effet, pour répondre à cette préoccupation, il souligne que ce ministre a pour mission d’organiser les unités administratives territoriales, les chefferies, les services centraux et extérieurs, de veiller à la bonne organisation des élections et les référendums nationaux et locaux conformément aux lois constitutionnelles. Au vu des missions ci-dessus, il apparaît clairement qu’il ne saurait prendre une mesure d’interdiction portant sur la communication sociale et populaire. Le faire relève tout simplement d’un excès de zèle et de pouvoir, car il agit au-delà des compétences qui lui sont reconnues.
Selon l’avocat, la mesure d’interdiction prise par le ministre de l’administration territoriale porte gravement atteinte à la liberté d’expression. En effet, la santé d’un Président de la République, poursuit-il, est une question fondamentale dans le fonctionnement de tout État et il est de bon ton que tout citoyen puisse se préoccuper de la santé de celui qui est à la tête de l’État et qui a été élu par celui-ci. Ne perdons pas de vue que le Président de la République est un élu de la nation qui a reçu mandat de ses citoyens pour les diriger et les conduire vers le développement. Dès lors que sa santé est menacée, il est normal que le peuple s’en inquiète et en parle. Vouloir museler ce peuple qui se soucie de la santé de son Président relève de l’autoritarisme et de la dictature.
A l’approche de l’élection présidentielle de 2025, les désinformations sont abondamment relayées pour tenter de troubler l’ordre public et le gouvernement doit jouer pleinement son rôle. D’où la communication du gouvernement face à cette rumeur mensongère sur la santé du Chef de l’Etat. Le Directeur du cabinet civil Samuel Mvondo Ayolo, et le porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi ont apporté des éclaircissements via des communiqués. Le Directeur du cabinet civil à rassurer les camerounais sur « l’excellent état de santé du chef de l’Etat qui travaille et vaque à ses occupations à Genève d’où il n’est jamais parti depuis son arrivée en provenance de Beijing. » Le ministre de la communication pour sa part a déclaré que « le chef de l’Etat se porte bien et rejoindra le Cameroun dans les tout prochains jours. »
Pour rappel c’est la deuxième fois que des fake news sur le décès du Chef de l’Etat alimentent les débats. En juin 2004, le contexte était pratiquement le même, c’est-à-dire à l’approche de l’élection présidentielle. Les rumeurs avaient alimenté les chaumières sur la mort de Paul Biya, toujours en séjour privé en Europe, plus précisément en Suisse. Une fois de retour à Yaoundé il avait déclaré « des gens s’intéressent à mes funérailles, je leur donne rendez-vous dans une vingtaine d’années. » Un article paru dans le quotidien Mutations détaille plus amplement les circonstances qui 20 ans plus tard, se reproduisent car les camerounais étaient sans nouvelles depuis un mois.
Conclusion
Du 8 janvier au 20 octobre 2024, les réseaux sociaux ont bouillonné sur la présumée mort du Président de la République du Cameroun Paul Biya. Cette prétendue mort a été précédée des commentaires sur son état de santé précaire. Pour juguler le trop plein de commentaires sur la rumeur autour de la mort du président, plusieurs communiqués des membres du gouvernement ont été faits. Parmi ceux-ci, celui du ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji qui a été la dérive de trop mal perçu par la société civile, certains acteurs politiques car il s’est engagé dans un processus de musèlement de la population. La liberté d’expression est un droit fondamental garanti par la constitution du Cameroun. Selon les experts, les plaintes des internautes sont tout à fait légitimes, il ne revient pas au ministre de l’administration territoriale de réprimer ou d’interdire des questionnements et des débats dans les médias et nul part ailleurs. Le conseil national de la communication en a pleinement la responsabilité. Nous pouvons conclure que ce genre d’agissement peut conduire le peuple à la rébellion ou les désintéresser sur les activités politiques par peur d’être traqué et torturé comme l’a été l’artiste Longue Longue présentement en exil après avoir été enlevé et torturé en 2019 après ses prises de position sur l’élection présidentielle de 2018 et au sortir de son calvaire avait prononcé cette célèbre phrase : « je veux voir mes enfants grandir » reprise par les citoyens.
Recommandations
Le Cameroun entre dans une phase délicate et déterminante, les élections présidentielles de 2025 se peaufinent et les leaders politiques mettent déjà en place des stratégies pour conquérir le pouvoir. Les internautes doivent faire preuve de lucidité face aux différentes publications, ils doivent être capables de reconnaître les fakes news, la manipulation et la propagande.
Quant au gouvernement, les communications doivent rester fluides, instantanées surtout en ce qui concerne le président. Dans de telles circonstances, le gouvernement doit prendre en compte les réclamations des citoyens qui veulent savoir où se trouve leur leader non pas de les museler et leur privé de la liberté d’expression, de communication, et la liberté de presse qui sont garantis par la constitution comme l’indique le préambule de la constitution. Ces actions peuvent contribuer à limiter la propagation des fake news.
Rapport rédigé par Marielle Ongono, boursière AFFCameroon, 10e cohorte